Edition française de l’affiche du graphiste de propagande Ottomar Anton (1895-1976), “Dich ruft die Waffen SS”. 1944. Homme de face portant la tenue des Waffen SS, pointant son doigt vers le lecteur. Au bas de l’affiche, “Toi aussi ! Tes camarades t’attendent dans la division française de la Waffen SS”. © akg-images

Il y a quelques semaines j’ai été attiré par un article [1] très intéressant sur le site voxeurop.eu. Ce dernier reprenait un papier paru dans Die Tageszeitung [2], dans lequel l’auteur s’élève contre le projet de loi porté par le Ministre de la Défense estonien, Mart Laar. Celui prévoyait d’attribuer le statut de “combattant de la liberté” à tous les nationaux ayant combattu contre l’Union soviétique au cours de la Deuxième Guerre mondiale. Ce titre inclut donc les Estoniens qui se sont engagés dans la SS. Il s’agissait, notamment des 19ème Waffen-Grenadier Division der SS “Latvia”, 20ème Waffen-Grenadier Division der SS “Estland” et du bataillon Narwa, section de la 5ème Panzerdivision SS Wiking à partir de mars 1943. Il existerait environ 15.000 SS estoniens [3].

Cette perspective choque légitimement et de façon très compréhensible le journaliste allemand. Je pense même que si une telle initiative était prise en France, Belgique, Pologne ou encore République Tchèque, une vague d’indignation, tout aussi compréhensible, submergerait l’ensemble de la société. Pareillement, si un journaliste des pays précités devait couvrir ce débat on pourrait s’attendre, selon toute vraisemblance, que le ton de l’article soit relativement similaire, avec peut-être un peu moins de vigueur qu’en Allemagne, et encore.

Ce préambule me permet d’en venir au but de mon propos : le conflit mémoriel entre l’ouest et l’est de l’Europe au sujet de la SS. En effet, si la perspective allemande de condamnation unanime de l’ensemble des actions de la SS, et plus largement du régime nazi, est viable dans toutes les démocraties de l’Europe occidentale et centrale, elle revient à nier la spécificité de l’histoire estonienne à partir du 1er septembre 1939.

Combattre le mal par le mal, se libérer des Soviétiques grâce à l’aide des Allemands :

En effet, depuis cette date, et conformément aux accords du Pacte germano-soviétique du 23 août 1939, l’Estonie a été envahie et annexée par l’URSS. Cette invasion a été très mal vécue par les Estoniens. Dès lors, au moment de l’invasion de l’URSS par l’Allemagne nazie, en juin 1941, les troupes soviétiques ont été chassées du pays par la collaboration entre les Allemands et des groupes résistants estoniens appelés les “Frères de la forêt” [4]. Suite à ces événements, les troupes allemandes ont été perçues comme des libératrices.

Néanmoins, la défaite finale de l’Allemagne conduit à une nouvelle annexion de l’Estonie par le géant soviétique. Et ce jusqu’en 1991, date de dissolution officielle de l’URSS et donc de création de l’Estonie démocratique actuelle. Dans cette perspective, la vision postérieure des SS estoniens comme des “combattants de la liberté” peut se justifier. En effet, le but des Estoniens, au moins pour une partie d’entre eux je pense, n’était peut-être pas nécessairement d’aider à l’accomplissement des plans nazis de domination européenne, mais uniquement de combattre l’ennemi soviétique afin d’assurer la liberté de leur pays. Même si dans la masse des engagés certains étaient probablement convaincus par l’idéal nazi, l’engagement des Estoniens au sein de la SS est en cela explicable et compréhensible. Par conséquent, on peut critiquer cette proposition pour des considérations de politique intérieure estonienne, mais il demeure qu’il ne me semble pas que, du point de vue historique, le titre de “combattant de la liberté” soit usurpé.

Pour conclure, même si le choc qu’a provoqué le régime nazi sur l’Allemagne est immense, il est relativement inacceptable que celle-ci cherche à entraver, même de manière passive, le travail des historiens et la réhabilitation de groupes de personnes qui se sont battus pour un idéal de liberté pour eux et leurs familles, mais si pour cela ils ont dus choisir une voie à posteriori contestable.

[1] “Estonie : Les SS, “héros de la liberté” “, Voxeurop.eu (11 janvier 2012) (Dernière consultation le 26 février 2012)

[2] “Die Heiligsprechung der SS”, Die Tageszeitung (11 janvier 2012) (Dernière consultation le 26 février 2012)

[3] On trouvera, par exemple, une estimation sourcée sur un sujet du forum du site croixdefer.net (Dernière consultation le 26 février 2012)

[4] Une présentation dans l’article “Forest Brothers” de l’encyclopédie en ligne estonica.org (Dernière consultation le 26 février 2012)