[France] Sports amateur et professionnel : les amalgames du Front National

N'oubliez pas de partager, ça aide le blog à avancer !
Dessin à partir d'une photo N/B de Philippe Pétain. Imp. Draerger (1940), 30 x 40 cm. Arch. dép. Lozère, 46 Fi 843

Dessin à partir d’une photo N/B de Philippe Pétain. Imp. Draerger (1940), 30 x 40 cm. Arch. dép. Lozère, 46 Fi 843 © Archives de la Lozère

En cette période d’élections, présidentielles et législatives, je voudrais revenir, un peu en retard, sur une déclaration qui n’a pas fait grande sensation dans les médias, mais qui permet de bien saisir l’utilisation de l’Histoire qui peut être faite par un parti. Ce parti c’est le Front National et les faits liés sont, d’une part, la déclaration du conseiller pour le sport de Marine Le Pen, Eric Domard, et, d’autre part, celle de Jacques Gaillard, candidat frontiste aux élections législatives dans la 3ème circonscription de Seine Maritime [1]. Dans cette dernière, se situe la petite bourgade de Quevilly, devenue célèbre suite à la qualification de son équipe de football locale pour la finale de la coupe de France après avoir défait le “géant” de l’Olympique Lyonnais.

Si la référence biblique de David contre Goliath est un topos récurrent pour les médias dans ce genre d’occasions, il s’agit le plus souvent d’une simple comparaison à but rhétorique,  comme peut l’être le pot de terre contre le pot de fer. En revanche, le cadre frontiste et le candidat aux législatives ont vu plus loin et croient déceler dans cette rencontre une allégorie de la France des petits clubs muent par des cohortes de bénévoles contre le “foot-business” et les “joueurs et clubs mondialisés”, incarnés ici par l’Olympique Lyonnais. Soit dit en passant, on peut aisément remettre en cause la vision de l’équipe de Quevilly comme strictement amateure et typiquement française, notamment en raison de l’entraînement intensif des joueurs et leurs origines métissées.

Dans tous les cas, ces déclarations deviennent encore plus intéressantes si on les rapproche de celle du député européen mégrétiste, et théoricien de la préférence nationale, Jean-Yes Le Gallou, en introduction de son livre, Le défi gaulois, carnets de route en France réelle paru en 2000. De fait, celui-ci affirme

La France réelle, c’est la petite équipe de football de Calais qui met en échec les grands clubs de mercenaires multicolores

Mais cela ne saurait vu comme les seuls précédents. On peut, je crois, mettre en lumière une certaine persistance dans la pensée d’extrême-droite sur le sport. Pour bien comprendre tout l’arrière-plan derrière ces déclarations, il est nécessaire revenir à la vision des sports amateurs et professionnels développée par l’extrême-droite durant le dernier siècle et notamment durant la période du gouvernement de Vichy.

 

Sport, morale et politique, à droite et à gauche :

 

De fait, depuis le développement intensif du sport et de la gymnastique à partir de la défaite militaire contre la Prusse en 1870, le sport est devenu un outil de propagande politique de la part de la IIIème République naissante puisque cela permettait de véhiculer l’esprit revanchard et nationaliste de reconquête des territoires perdus contre la toute jeune nation allemande [2]. A la même époque, Pierre de Coubertin se fait le chantre de l’amateurisme le plus pur. Cette thématique, ainsi que le rejet ardent des effets pervers du sport (argent, professionnalisme, etc.), est également présente dans les projets du Front Populaire [3]. Si cette préférence pour l’amateurisme n’avait pas conduit jusqu’à présent l’Etat à se positionner clairement et officiellement contre le sport professionnel, ce pas va être franchi avec l’arrivée au pouvoir de Pétain et du gouvernement de Vichy. Les interdictions du football [4], du rugby à XIII  et de l’ensemble des sports professionnels, dans des délais plus ou moins courts, est l’un des premiers chantiers du ministère de Jean Borotra entre août 1940 et avril 1942. Dans le même temps, le sport amateur est hautement valorisé puisque l’on hésite pas à décrire, par exemple, les footballeurs professionnels comme des “dévoyés, passant leur temps dans les cafés et les dancings”. De même, est repris le poncif sur le sportif raté qui serait sensé ne rechercher que l’appât du gain.

Pour conclure sur ce point, il y a donc sous Vichy une valorisation extrême du “bon” sport, amateur, puisqu’il

permet de former des hommes de force et de volonté, qui [ont] appris à dominer leur souffrance, [ont] appris à se sacrifier à l’équipe

et une condamnation tout aussi importante du sport professionnel dont les valeurs seraient incompatibles avec la volonté de redressement moral de la Révolution Nationale.

A la lumière de ces explications, on voit bien la filiation entre les propos d’Eric Domard et Jacques Gaillard et la politique des commissaires aux sports sous Vichy. En effet, on retrouve le même dédain et mépris pour le sport professionnel et l’argent, couplé, chose nouvelle, à une critique violente de la mondialisation, et une sympathie pour “le petit Poucet”. En filigrane on perçoit également le versant moralisant de la critique, les joueurs français de ces “clubs mondialisés” ne seraient pas de “bons” français. Si en tant qu’amateur d’une certaine éthique du sport on peut regretter les sommes astronomiques de certains transferts, notamment dans le football, et la place de l’argent dans la réflexion, en tant qu’historien et citoyen républicain on ne peut être qu’opposé à ces dangereux amalgames.


[1] Guillou C., “Le FN récupère Quevilly, adversaire des « joueurs mondialisés » de Lyon”Rue89 (26 avril 2012) (Dernière consultation le 13 mai 2012)

[2] On pourra, par exemple, lire l’article de blog de Collin J., “Le sport et son rapport avec la politique” (21 janvier 2012), mais aussi et surtout l’article de Pécout C., “La politique  sportive  du gouvernement de Vichy : discours et réalité”C@hiers de Psychologie politique 7 [En ligne] (Juillet 2005). (Dernières consultations le 13 mai 2012)

[3] Terfous F., “Sport et éducation physique sous le Front populaire et sous Vichy : approche comparative selon le genre”Staps 4/2010 (n° 90) , p. 49-58 (Dernière consultation le 13 mai 2012)

[4] Breuil X., “Vichy et le football”We are football association. Cultures, mémoires, histoire (Dernière consultation le 13 mai 2012)

N'oubliez pas de partager, ça aide le blog à avancer !