[Polémiques] “Des homosexuels oui, mais non mariés” ! Vers un nouvel avatar d’une “politique de la différence” ?

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Femme priant lors d'une manifestation contre le mariage homosexuel, janvier 2013.

Groupe de personnes priant lors d’une manifestation contre le mariage homosexuel à l’appel de l’Institut Civitas, janvier 2013.

Alors que les quelques heures qui viennent de s’écouler ont vu des milliers de personnes marquer leur désapprobation concernant le projet de loi Taubira de “mariage pour tous”, je voudrais entamer une réflexion concernant ce sujet. Il ne sera pas ici question de remettre en profondeur historique l’ensemble de la question de l’homosexualité – la lecture des deux tomes de L’histoire de la sexualité de Michel Foucault étant à mon sens un prologue indispensable – Je tendrai plutôt à investiguer la perception mentale de la question de la différence, de sa perception et son acceptation dans la société française de 2013. En somme, est-ce que dans notre société actuelle la différence est acceptée en tant que telle ou non. Si oui, la communauté, ou l’individu, est-elle agglomérée comme une nouvelle partie de l’ensemble social, avec les mêmes droits et devoirs que les membres précédents, ou une nouvelle catégorie juridique est-elle créé, avec droits et contraintes spécifiques, pour ce groupe ? [1]. Cette interrogation des événements, largement inspirée d’une vision de la société comme corps animé par des jeux de pouvoirs continuels, peut sembler étrange à propos du “mariage pour tous”. Il me faut donc m’en expliquer. Néanmoins, avant cela il me semble nécessaire de prendre un peu de recul et d’envisager un temps historique où des différences sociales sont mises en place non pas sur des critères économiques (la possession de biens ou de richesses) ou politiques (la possession du pouvoir politique), mais uniquement par la discrimination d’un trait essentiel de l’individu, l’appartenance ethnique – en cela comparable avec l’orientation sexuelle. Le temps dont je voudrais parler est celui de la colonisation, avec notamment le cas de l’empire français.

 

La politique de la différence, un avatar colonial :

 

Ma lecture récente de l’ouvrage de Jane Burbank et Frederick Cooper Empires in World History : Power and the Politics of Difference, paru en 2010 et traduit en français l’année suivante sous le titre, beaucoup moins évocateur, de Empires. De la Chine ancienne à nos jours, va nous aider dans cette tache. Comme le titre anglais le souligne, l’un des principaux axes de réflexion de l’ouvrage est la mise en évidence de l’existence d’une politique de la différence au sein de tous les empires du monde entier, depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours. Cette politique tendrait à mettre en évidence de nombreuses interventions et prises de position de l’Etat, mais aussi du groupe dominant, pour définir des différences entre groupe dominant et groupe dominé, entre un “Nous” et un “Eux”.

Pour ce qui est de la colonisation européenne du XIXème siècle, cette logique fonctionne bien. Il serait possible de prendre mille exemples de brimades, humiliations ou interdictions liées a la politique de la différence mise en place par les divers empires coloniaux, mais nous n’en retiendront que deux pour la clarté et la concision du propos.

Le premier est celui d’Aoua Keita. C’est une sage-femme d’origine soudanaise, le Soudan faisant à l’époque partie de l’Afrique-Occidentale Française, et militante de l’Union Soudanaise du Rassemblement Démocratique Africain dès la création de ce mouvement en 1946. L’appoint de cet exemple vaut pour une petite anecdote rapportée par Aoua Keita elle-même dans son autobiographie, La vie d’Aoua Kéita racontée par elle-même. De fait, celle-ci raconte qu’au cours de son voyage le long du fleuve Niger pour rejoindre son premier poste, sa formation médicale, et donc son statut social plus élevé que la moyenne des “indigènes”, lui avait permis de pouvoir voyager en première classe. Mais les Blancs présents, notamment les femmes, ont insisté pour que lors des repas elle soit servie en dernière, après eux. Dans cet exemple il est manifeste qu’il y a une volonté de rétablir une différence établie sur l’appartenance ethnique, celle-ci étant en partie, trop au goût des Européens, masquée par l’horizontalité des conditions de transport en première classe.

Le second exemple concerne une maison close d’Alger ouverte au cours des années 1930, le Sphynx. Le dernier numéro du magazine L’Histoire [2] consacre d’ailleurs un article à cet établissement. Dans celui-ci il est possible de trouver le témoignage de la tenancière de la maison close. Celle-ci interdit très clairement à une de ses filles de parler de son passé dans une maison close pour Arabes, au titre que cela nuirait à la réputation de son commerce, fréquenté par le beau monde colonial de l’époque. Cette peur se comprend aisément puisqu’il est fort probable que les Blancs, le groupe dominant, ne voudraient pas avoir des relations sexuelles avec des femmes “souillées” par un Arabe ou autre “indigène”.

 

“L’alliance civile”, une volonté – non avouée – de différenciation ? :

 

Revenons désormais à notre sujet de départ, la perception de l’éventualité de l’extension du mariage, et les droits afférents, aux couples homosexuels par une certaine frange de la société française. Ce rapprochement peut sembler à priori étrange, et c’est bien normal. Néanmoins, cette réflexion à commencer à germer dans mon esprit suite à la lecture d’un article signé par Joseph Macé-Scaron et Christine Lambert pour le site Marianne.net [3]. La phrase qui m’a interpellé est celle-ci :

Ils ne sont pas homophobes, mais ils considèrent que les homosexuels sont devenus un peu trop voyants, trop bruyants, en osant réclamer le droit au mariage. Comme s’ils étaient des citoyens de seconde zone.

Les homosexuels, comme “citoyens de seconde zone”, seraient donc les nouveaux indigènes du XXIème siècle selon les auteurs. En se penchant un peu sur la personnalité et l’orientation sexuelle de Joseph Macé-Scaron il est possible de constater qu’il est lui-même homosexuel [4]. Ce fait n’est pas dérangeant en soi, mais il vient faire peser un doute sur l’objectivité de la pensée du journaliste. Dans un débat, pour ne pas dire un pugilat, aussi passionné, il serait tout à fait compréhensible, quoique regrettable, de succomber à une certaine dose d’outrance.

D’autres recherches m’ont permis de constater l’existence du contre-projet de l’UMP, “l’alliance civile” [5]. Ce projet, d’après les dires de Christian Jacob [6], prévoit :

La solennité d’une cérémonie devant un officier d’état civil en mairie, l’obligation de fidélité, d’assistance et de secours entre les alliés, la sécurité juridique lors de la dissolution avec la possibilité pour le juge d’attribuer une prestation compensatoire

En somme un copier-coller du mariage classique pour hétérosexuels sans le nommer ainsi. Un peu comme si le mariage, avec tout le prestige social que cela peut avoir, était réservé aux hétérosexuels et que les homosexuels devaient se contenter d’un “mariage de seconde zone” avec l’alliance civile. A partir de ce constat, sommes-nous réellement si loin de ce que je décrivais précédemment en milieu colonial ? Pas tellement. En effet, une partie du groupe dominant, au niveau numérique au moins, des hétérosexuels cherchent à protéger sa supériorité sociale à travers la défense d’un rite de passage qu’elle considère comme constitutif de son identité. On retrouve la même dialectique avec le problème de la filiation et de la parentalité, la défense irréductible d’un pilier constitutif d’une “identité hétérosexuelle”, la procréation et la perpétuation de “la race”. La rhétorique politicienne et médiatique est telle que les détracteurs du “mariage pour tous” font que tout cet arrière-plan intellectuel est caché, parce que peu honorable, derrière la défense de “l’intérêt supérieur de l’enfant”.

 

Conclusion :

 

Pour conclure, soyons bien conscient des interprétations possiblement outrancières de mes propos. Il m’est d’avis que comparaison n’est pas raison et que la frange, plus ou moins dure politiquement, de la société française contestant le droit des homosexuels au mariage et à la filiation ne sont pas des possibles nostalgiques d’un certain “ordre colonial”. Ici le recours à une profondeur historique n’a eu pour but que de démontrer une éventuelle continuité mentale de la société française, corps social où il existe un groupe dominant qui a du mal à accepter l’extension de certains de ses “privilèges” à un autre groupe, ici les homosexuels. Mais aussi de mettre en évidence qu’il semble exister, selon moi, une même “structuration mentale” dans l’approche du phénomène. Il faudrait donc conserver une hiérarchie avec un groupe dominant et un groupe dominé et que même s’il est reconnu que les homosexuels sont semblables aux hétérosexuels, il apparaît nécessaire qu’une distinction, à minima sémantique soit opérée et qu’en terme de dialectique ce schéma de pensée se retrouve dans les sociétés coloniales des XIXème/XXème siècles. Ni plus ni moins. Les implications et les interprétations politiques et sociétales de ce qui me semble être un constat clair sont du ressort de chacun.


[1] Le but de cette nouvelle catégorie juridique serait d’assurer la prédominance d’un groupe, ou une classe, considéré comme naturellement dominant face à un autre qui doit être mis sur une échelle différente.

[2] Taraud C., “Visite au Sphynx d’Alger”, L’Histoire 383 (janvier 2013) (Dernière consultation le 13 janvier 2013)

[3] Lambert C. et Macé-Scaron J., “Ils ne sont pas homophobes, comme ils disent”Marianne (11 décembre 2012) (Dernière consultation le 13 janvier 2013)

[4] Martet C., “Joseph Macé-Scaron porte plainte contre l’éditeur de Didier Lestrade pour «atteinte à la vie privée»”Yagg (29 juin 2012) (Dernière consultation le 13 janvier 2013)

[5] “Mariage pour tous : les députés UMP veulent une “alliance civile””Le Monde (8 janvier 2013) (Dernière consultation le 13 janvier 2013)

[6] “France-L’UMP prône l’alliance civile plutôt que le mariage homo”Reuters France (8 janvier 2013) (Dernière consultation le 13 janvier 2013)

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