[France] Poitiers, 732 : symbole des mirages historiques de l’extrême-droite

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A gauche le sanglier, symbole du Bloc Identitaire. A droite le bouclier frappé du lambda, emblème de Génération Identitaire, section jeunesse du Bloc Identitaire

A gauche le sanglier, symbole du Bloc Identitaire. A droite le bouclier frappé du lambda, emblème de Génération Identitaire, section jeunesse du Bloc Identitaire

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Je prends la plume aujourd’hui suite à plusieurs détails intéressants lors de la dernière manifestation du groupe d’extrême-droite Génération Identitaire, organisation de jeunesse du Bloc Identitaire. De fait, ces derniers ont déployé une banderole au-dessus de la mosquée en construction à Poitiers [1]. Ce geste avait pour but d’appeler à un référendum sur les sujets de l’immigration et d’une prétendue, selon eux, “islamisation” de la France. Pour plus de clarté je reproduis ci-contre une représentation de la banderole en question.

 

Le lambda : une récupération de l’antiquité grecque par le prisme de la culture pop :

 

Toutefois, avant de parler de la référence la plus clairement visible, la date de 732 et le renvoi vers la célèbre “bataille de Poitiers”, même si celle-ci n’a pas eu lieu dans le bucolique Poitou, mais plutôt en Touraine [2], je voudrais évoquer quelque chose qui ne laisse pas insensible mon coeur d’helléniste. Certes, de nombreuses descriptions de boucliers sont connues pour l’Antiquité grecque que ce soit dans des contextes héroïques, notamment le bouclier d’Héraclès [3] dans le poème d’Hésiode, ou humains, de nombreuses descriptions de boucliers ou de représentations de combats hoplitiques sur des vases laconiens [4], mais aucun ne semble porter l’iconographie ci-dessus. Tous sauf un. En effet, si on rapproche ce symbole de celui que l’on peut voir sur le bouclier des Spartiates dans un film récent, 300 de Zack Snyder, il est éventuellement possible de trouver un lien. Néanmoins, la présence de ce lambda (Λ) sur le bouclier spartiate n’est pas qu’une simple fantaisie hollywoodienne. On connait des évocations de ce symbole grâce à des textes d’Eupolis, transmis par Photius, et de Xénophon, fin connaisseur de l’armée spartiate de la fin du Vème/début du IVème siècle avant notre ère. Si le rapprochement Génération Identitaire/Sparte ne peut être à la base qu’une simple hypothèse, elle devient une évidence lorsque l’on écoute attentivement le texte de la “déclaration de guerre” [5] de Génération Identitaire où on peut trouver cette phrase :

Nous avons peint nos slogans sur les murs, scandé « la Jeunesse au pouvoir » dans nos mégaphones, brandi bien haut nos drapeaux frappés du lambda. Ce lambda qui ornait le bouclier des glorieux Spartiates est notre symbole. Vous ne comprenez pas ce qu’il représente ? Il signifie que nous ne reculerons pas, que nous ne renoncerons pas. Lassés de toutes vos lâchetés, nous ne refuserons aucune bataille, aucun défi.

Par ailleurs, la thématique du non recul n’est probablement pas uniquement due au simple visionnage du film 300, puisque la puissance de l’armée spartiate et l’effroi qu’elle suscite est un topos courant dès l’Antiquité, notamment grâce à Plutarque [6] ou Xénophon [7]. Si on suit ce raisonnement, il devient alors très clair que nous sommes face à une réinterprétation massive d’un symbole de l’Antiquité grecque.

Mais contre qui ces Spartiates vêtus de noir veulent-ils combattre ? Même si la bataille de Poitiers n’est absolument pas un affrontement à dimension confessionnelle, l’affichage de la date de 732 et le lieu choisi pour la manifestation, Poitiers, nous donne la réponse : l’islam. Oui je parle bien de l’islam et non d’une quelconque et hypothétique “islamisation de la France”, comme les membres de Génération Identitaire ou du Bloc Identitaire claironnent autant que faire se peut. Le but est donc bien de mettre en évidence, comme une large partie de la vulgate historique au XIXème siècle, qu’il s’agit d’un affrontement entre d’un côté les purs Francs chrétiens et de l’autre les méchants Arabes musulmans.

 

Une reconquête fantasmée :

 

Par ailleurs, la différenciation faite par ces groupes politiques entre Islam, religion à laquelle il serait indifférent tant qu’elle reste dans les pays musulmans, et islamisation de la France, chose mauvaise en soi selon eux, ne tiens pas debout dès que l’on se reporte à la page d’accueil du site internet de la future Convention Identitaire du début du mois de novembre prochain. Qu’y voit-on ?

Une représentation d’un homme en armure avec sur le plastron une grande croix. Etant donné les dimensions approximatives de la croix, ce symbole ne peut être que chrétien. Cela ne pourrait être que relativement inoffensif sans le slogan adjacent : “Direction reconquête !”. Dans un premier temps j’ai pensé au phénomène de la Reconquista espagnole au Moyen Age, mais l’absence de majuscule soulevait une certaine ambiguïté linguistique. Toutefois, celle-ci peut être levée grâce à la lecture la dernière phrase du court texte introductif à la Convention où on peut lire :

En attendant toutes les informations supplémentaires, vous pouvez et devez déjà noter ce rendez-vous dans vos agendas : les 3 et 4 novembre tous à Orange. Avec les identitaires, Direction Reconquête !

Direction reconquêteL’allusion au processus espagnol médiéval, et même probablement plus largement à l’épisode croisé, est donc clairement assumée. Le but est donc bien de partir dans une “croisade” version 2012 2.0 contre l’implantation d’un quelconque islam dans notre pays de manière générale et non contre les dérives de certaines mouvances extrémistes de la religion mahométane.

Autre élément particulièrement biaisé est l’existence d’un petit livre aux éditions IDées sur la bataille de Lépante et vendu dans la boutique du site internet de Génération Identitaire. Etant donnée la nature de la bataille et ses possibles implications idéologiques on touche une nouvelle fois à une probable utilisation de l’Histoire.

 

Renversement de l’image du collaborateur, du pro-allemand au pro-islam :

 

Un autre point sur lequel je voudrais insister est l’utilisation par l’extrême-droite, dans son ensemble et pas uniquement Génération Identitaire ou le Bloc Identitaire, de termes ou d’imageries tout à fait singuliers. En effet, en élargissant mon spectre de sources à différents blogs ou médias [8] [9] [10]  liés à des partis politiques, d’extrême-droite, j’ai pu constater la prolifération du terme de “Collabo”, à tel point que certains parlent de “collabosphère”. Il est intéressant de noter le significatif retournement sémantique de ce mot, un “collabo” désignant le plus souvent dans la vulgate une personne de tendance politique d’extrême-droite et proche de la mouvance pétainiste, la référence au deuxième conflit mondial étant trop prégnante pour ne pas être envisagée.

Il demeure que la cible de cette vindicte est toujours la même et n’a pas changée depuis les années 1930-1940 puisqu’il s’agit d’une masse relativement informe composée des élites politiques et intellectuelles avec l’appoint des associations antiracistes (MRAP, Licra, SOS Racisme etc…), ces dernières étant perçues comme les auxiliaires zélées des partis politiques de gauche mais aussi en tant que forces corruptrices au sein de la société civile. Ces élites ne seraient plus au service d’une “juiverie internationale”, mais d’une certaine “islamerie internationale”, idée renforcée par les investissements et actions récents de certains Etats de la péninsule arabique, notamment le Qatar, en France. On peut appréhender cette théorie grâce à quelques caricatures de presse, publiées sur le site de Riposte Laïque par Ri7 :

Ri7lèche-Vals-Hollande-DelanoéQue ce soit dans le cas de la “juiverie” ou de “l’islamerie”, il témoigne d’une certaine peur de l’étranger, vu au sens large, mais aussi d’une société en crise, pour des raisons différentes il s’entend.

 

Dépréciation de l’histoire, mise en valeur de la mémoire :

 

Enfin, en dernier lieu, une autre phrase de la “déclaration de guerre” de Génération Identitaire a heurté ma sensibilité historienne. La voici :

Nous avons fermé vos livres d’histoire pour retrouver notre mémoire.

Outre les effets de différenciation et de distanciation inclus par les “vous” d’un côté et les “nous” de l’autre, la mise à l’index de la communauté historienne, et de l’histoire en général est assez effarante. Dans l’esprit des identitaires, les historiens, qu’ils soient dans l’enseignement secondaire ou supérieur, doivent également faire partie de ce grand complot “anti-France”. Certes, je suis bien conscient que toute Histoire est plus ou moins orientée puisqu’elle écrite par les vainqueurs, mais c’est nier le fait qu’il existe l’esprit et la lettre des programmes scolaires et que les professeurs disposent d’une certaine liberté pédagogique.

Par ailleurs, cette vision est renforcée par le primat de la mémoire sur l’histoire, la première étant censée être plus proche des faits et de la “Vérité” puisque les témoins sont des sources de première main. De fait, tout historien se fonde sur des sources, dont la mémoire, mais le phénomène mémoriel pose de très grands problèmes puisqu’il peut très largement être reconstruit à partir de souvenirs postérieurs à l’action. Un exemple tiré d’un ouvrage d’Antoine Prost [11] est assez éclairant à cet égard. L’auteur explique :

Dans un cours de licence où je datais un tract étudiant de la fin de novembre 1940 par critique interne […], des étudiants dubitatifs regrettèrent qu’on ne puisse retrouver des étudiants de 1940 qui auraient distribué ce tract et se seraient souvenus à quelle date. Comme si la mémoire des témoins directs, un demi-siècle après l’évènement, était plus fiable que les indications matérielles fournies par le document lui-même.

Tout est dit. Il demeure que c’est presque comique que Génération Identitaire prétend abandonner l’Histoire et vends un livre sur un événement qui est depuis longtemps devenu un objet d’Histoire. Schizophrénie ? Non simplement une histoire idéologique qui refuse l’expression de tout ce qui ne va pas dans le sens d’une histoire française chrétienne et blanche.


[1] Mauriac L., “Indignation après l’occupation de la mosquée de Poitiers”Rue89 (21 octobre 2012). A noter qu’une vidéo de la manifestation est également disponible. (Dernières consultations le 30 octobre 2012)

[2] Naudin C., “La bataille de Poitiers (732)”Histoire pour tous (21 février 2012) (Dernière consultation le 30 octobre 2012)

[3] Hésiode, Le bouclier d’Héraclès

[4] Coudin F., “Les vases laconiens entre orient et occident au VIe siècle av. j.-c. : formes et iconographie”Revue archéologique 49 (2009-2), p. 227-262

[5] “Déclaration de Guerre – Génération Identitaire”Rutube (mise en ligne le 5 mars 2013) (Dernière consultation le 3 décembre 2016)

[6] Plutarque, Apophtègmes des Lacédémoniens, 241 e-f

[7] Xénophon, Helléniques, IV, 4, 10

[8] Morize P., “Déferlement haineux de la collabosphère contre les Identitaires”Riposte laïque (22 octobre 2012) (Dernière consultation le 30 octobre 2012)

[9] ViDe, “Valeureux Patriote soutient Génération Identitaire”Valeureux patriote (21 octobre 2012) (Dernière consultation le 30 octobre 2012)

[10] Cyrano, “A Toulouse les petits marquis socialistes pérorent, dans le Nord, un maire PS frôle le lynchage”Riposte laïque (29 octobre 2012) (Dernière consultation le 30 octobre 2012)

[11] Prost A., Douze leçons sur l’histoire, Paris, 1996, p. 66

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