[HistoireEnCité] Les dates, malaise de l’historien

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Le bâtiment parisien des Archives Nationales, siège du projet de la Maison de l'Histoire de France

Le bâtiment parisien des Archives Nationales, siège du projet de la Maison de l’Histoire de France. © Wikimedia Commons

Quel historien, ou étudiant en histoire, n’a pas vécu le malaise de l’incompréhension au moment où, lors d’une discussion avec d’autres non historiens ou non passionnés par Clio, on ne sait pas répondre à la question fatidique du : ” Que s’est-il passé au jour A, mois B de l’année Y ?”. Vu que je ne suis pas un érudit sur l’ensemble des périodes historiques, cette déconvenue est relativement fréquente. Dans le regard des autres et, allons plus loin, de la société toute entière, c’est comme si, de ce fait, je ne servais à rien puisque je ne suis pas en mesure d’effectuer ce qu’elle attends de nous : être une tête bien remplie de dates en tous genres et donc de personnages historiques hauts en couleurs. Il serait possible d’étendre ce schéma de pensée à l’ensemble de la communauté historienne.

De même, la mauvaise popularité de l’Histoire, institutionnelle, pas la discipline en tant que chose intellectuelle, vient également, à mon sens, du fait que la communauté universitaire a depuis bien longtemps fait son Bade Godesberg en matière de grands personnages historiques. Après la négation d’un quelconque poids à partir de l’Ecole des Annales, en réaction à leur omniprésence dans l’historiographie positiviste [1], on doit noter que le genre de la biographie historique revient en force depuis quelques décennies, que cela soit écrit par des membres de la communauté scientifique [2] ou des non historiens [3]. De même, à la télévision avec des émissions telles que Secrets d’histoire ou L’ombre d’un doute. Dans ces deux dernières, la première de manière un peu plus nuancée que la seconde, le souffle épique est désormais couplé à une recherche de divertissement, à grands renforts de sexe, complots, trahisons, argent et autres luxures.

 

La vision sociale de l’histoire et de l’historien : deux exemples concrets :

 

En somme, les historiens ne donnent plus de grain à moudre a un roman national jalonné de grands héros tutélaires et c’est là que le bas blesse. Il semblerait que le lecteur préfère qu’on lui raconte des histoires à la Plutarque plutôt qu’un exposé sérieux des faits, de leurs enchaînements et de la façon de penser des personnes qui ont foulés le sol de la Terre pendant des millénaires avant nous. Dans ce contexte on comprend mieux le succès de personnages tels que Dimitri Casali ou Lorant Deutsch, ceux-ci n’étant que l’épiphénomène de quelque chose de plus profond. Il est également possible de mettre en relation cet état d’esprit vis-à-vis des institutions universitaires historiques avec le relatif mépris dont a fait preuve le pouvoir en place entre 2007 et 2012.

Pour en revenir au sujet de base, j’ai connu ce sentiment de malaise maintes fois, la dernière ayant eu lieu il y a seulement quelques jours. En effet, je travaille pour l’été dans une usine métallurgique et, au fil des discussions, mes collègues ont appris que je suis historien de formation. Très vite la question fatidique a été posée et, comme souvent, je n’ai pas su à y répondre car trop précise. De même, lors de la réception du petit jeu de connaissances historiques, Chronicards. Je ne cache pas mon ignorance personnelle et mon manque de culture générale, mais des questions comme celle de mes collègues, individus possédant, il me semble, une connaissance normale de l’histoire, ainsi que la précision des questions de Chronicards dénotent d’une méconnaissance, explicable et excusable mais non moins dommageable, du but de l’étude de l’Histoire. Je prends prétexte de ces micro-incidents pour donner ici ma vision de l’Histoire. Elle n’a aucune visée globalisante ou systématisante, elle n’est que le résultat de ma réflexion personnelle suite à mes heurts et mes joies avec Clio.

 

C’est quoi l’histoire ? :

 

L’étude de l’Histoire se fonde donc sur des sources qui ne sont jamais totalement neutres et objectives. C’est pourquoi il faut les recouper entre elles et les critiquer, notamment grâce aux 5 questions magiques de l’historien : Quel type de document ? Qui ? Quand ? Pourquoi ? Pour qui ?. Le tout permettant de parvenir a la vision la moins floue et la plus véridiquement plausible, l’étude de l’histoire n’ayant pas pour but d’aboutir a LA vérité mais à UNE vérité acquise à un temps T. Par ailleurs, celle-ci est influencée, au moins en partie, par son contexte de rédaction. Pour reprendre mon cas personnel, aujourd’hui j’écris ma vérité historique différemment d’hier et demain je la composerait d’une autre manière, mes pensées ayant changées, plus ou moins à la marge, entre temps. De plus, à mon avis, la pratique de l’Histoire doit aider à comprendre la structure des sociétés passées afin que ce qui a, semble t-il, bien fonctionné précédemment puisse servir de base de réflexion pour essayer de résoudre nos problèmes actuels. Il convient bien sûr d’adapter, même en n’en conservant que la “substantifique moelle”, comme l’expliquait Rabelais, et en rejetant tout ce qui est inextricablement lié à la société de jadis, la situation passée aux conditions présentes. Ce principe peut sembler chimérique, mais on verra dans un autre billet que cela a eu lieu et que cela devrait encore avoir lieu.

Pour conclure, il incombe à nous, historiens, de faire tout notre possible pour mettre des éléments de culture historique au sein des débats publics. Néanmoins, ceux-ci peuvent être facilement détournés ou dévoyés par des idéologies ou des partis politiques, c’est pourquoi la vigilance doit donc être la seconde clé de voûte de ce projet.


[1] Carbonell Ch.-O., “L’histoire dite « positiviste » en France”Romantisme (1978), p. 173-185.

[2] Deux exemples uniquement en histoire ancienne, Puech V., Constantin : Le premier empereur chrétienParis, 2011 ou Jouanna J., SophocleParis, 2007 . Après une éclipse pendant plusieurs décennies, le genre est de nouveau florissant.

[3] Par exemple, mais là aussi le genre est malheureusement florissant, Bayrou F., Henri IV, le roi libreParis, 1993 ou Lang J., Laurent le MagnifiqueParis, 2005. Le plus souvent ces livres sont écrits par des “nègres”, directement employés par l’éditeur.

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