[Polémiques] Des intrigues et du marketing

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Couverture de “L’intrigant. Nouvelles révélations sur Louis XVI” d’Aurore Chéry

Des micros polémiques agitent parfois le Twitter historien. La dernière en date concernait la pertinence de la tenue et la participation à l’édition 2020 des Rendez vous de l’histoire de Blois en période pandémique. Certains participants ont exprimé une satisfaction quant aux conditions sanitaires. Même si j’ai toujours trouvé cette grande messe plutôt peu intéressante, je ne blâmerai pas les spectateurs et exposants. Attendons donc de plus amples information sur les conséquences éventuelles. En espérant que celles-ci ne soient pas trop funestes.
Cela étant dit, cette fois-ci je voudrais discuter de la polémique picrocholine précédant celle-ci, autour de la nouvelle biographie d’un roi au cou bien aéré, L’intrigant. Nouvelles révélations sur Louis XVI, par Aurore Chéry. N’étant pas spécialiste de XVIIIème siècle et de la Révolution pour un sou, je ne commenterai pas le bien fondé des critiques qui ont été adressées à l’autrice. Surtout que je n’ai pas lu le livre et, je n’ai pas l’intention de le faire, la Révolution française ne m’ayant jamais passionné, ce dont je veux bien prendre le blâme. De fait, selon plusieurs spécialistes du sujet, L’intrigant semble avant tout être un ouvrage aux thèses audacieuses, mais parsemé de problèmes méthodologiques. En somme un bon matériau pour une fiction historique, mais assurément pas une production historique scientifique reconnue comme telle par la communauté.

En fait, je souhaiterais plutôt m’attacher à la promotion du livre et aux réactions de l’autrice vis-à-vis des diverses critiques puis les mettre en regard avec les propos d’un ouvrage qu’elle a coécrit avec William Blanc et Christophe Naudin, Les historiens de garde. De Lorant Deutsch à Patrick Buisson, la résurgence du roman national [1].

 

Une promo sous le signe du marketing :

 

Malgré son sujet plutôt vendeur, le livre – paru le 30 septembre dernier – , a reçu un accueil presse relativement timide. Outre la presse spécialisée – en attendant les revues à comité de lecture – , quelques titres nationaux se sont fait écho de la sortie du livre. On notera donc l’existence de quelques lignes dans Le Monde [2], une réponse de  Jean-Christian Petitfils dans les colonnes du Point [3], un (court) article dans Historia [4] et une présentation dans le prochain numéro du magazine L’Histoire [5]. Il ne fallait certes pas s’attendre à un torrent médiatique, mais on aurait pu s’attendre à ce qu’un plus grand nombre de journaux/magazines nationaux relaie la nouvelle, attiré par le fumet “people” et la publicité d’une audacieuse revisite des actions du roi. A ce jour (25 octobre 2020), le texte se rapprochant le plus d’une recension critique est l’œuvre de Jean-Clément Martin dans les colonnes de son blog personnel [6]. Ce dernier est plutôt sévère, notant des interprétations forcées de sources et d’autres problèmes méthodologiques conséquents. La dernière recension en date provient du site internet de l’association professionnelle Les Clionautes [7]. Même si la critique est moins précise, Michèle Madec semble également peu convaincue par l’audace historiographique d’Aurore Chéry.

Cette dernière a, de son côté, eu la possibilité de présenter son ouvrage a plusieurs reprises, notamment lors des Rendez-vous de l’histoire de Blois et d’une conférence à la chapelle expiatoire de Paris. Elle est également l’autrice du texte énoncé par Laurent Turcot sur sa chaîne YouTube L’histoire nous le dira, pour l’épisode 14 juillet 1789. Rien pour Louis XVI ? | L’Histoire nous le dira #126. Le portrait moral et politique du souverain y est basé sur les conclusions et hypothèses de L’intrigant.

Même si les recensions commencent à être publiées, à l’heure actuelle l’essentiel de la discussion s’est donc passé sur Twitter, l’autrice discutant avec ses lecteurs et réagissant aux premières critiques adressées à l’ouvrage. De fait, sur le réseau social, de nombreux historiens – spécialistes ou non de la période en question – ont pointé du doigt la dimension proprement marketing plus ou moins racoleuse de la publicité autour du livre [8]. Suite aux premières lectures de certains, il a commencé à flotter une impression assez partagée de “‘Tout ça pour ça ?!” [9]. L’illusion provoquée par la montée en mayonnaise grâce au marketing est donc retombée comme un soufflé. Ce n’est pas cette fois-ci la faute de la maison d’édition, mais bien de l’autrice elle-même. En effet, celle-ci s’enorgueillit, dès l’introduction de L’intrigant, de mettre en branle une “révolution copernicienne” dans les études sur Louis XVI [10]. Idem, il semblerait, selon certains twittos, que sa principale ligne de défense soit la dénonciation des critiques comme faisant partie d’une “arrière-garde conservatrice” [11], le tout en usant d’une certaine rhétorique d’inspiration complotiste à base de “On veut vous cacher des choses”. Le conditionnel est utilisé ici à dessein, n’ayant pas trouvé de confirmation d’une telle rhétorique dans les tweets ou autres propos d’Aurore Chéry. Toutefois, cela serait plutôt en accord avec l’existence de potentielles frictions entre l’autrice et la Société des Études Robespierristes, du moins certains de ses membres [12]. Cela serait donc elle, la petite chercheuse outsider, contre une partie du monde académique travaillant autour de la Révolution française. 

 

Changement de paradigme :

 

Or, cette posture de David contre Goliath est, avec le rejet d’une appellation “historien” pour celle de “passeur d’histoire” afin de s’exonérer de toutes précautions méthodologiques, un des défenses préférées de la “nouvelle garde” des historiens de garde, notamment dans sa version ferrandienne. Voici ce qu’on peut lire sur le sujet dans Les historiens de garde [13].

Ils seraient victimes de la pensée unique, de “l’historiquement correct” […], et n’hésitent pas à se présenter, à la fois, comme la voix ou le relais d’historiens rejetés par l’institution, et comme des pédagogues au service du peuple auquel on cacherait tout. Certains historiens de garde, en particulier Franck Ferrand, fondent par exemple leur succès sur la résolution de prétendues énigmes historiques […]. […] Cette volonté de paraître hors du système, et parfois persécuté par “l’institution” ou le système médiatique, se retrouve chez les autres historiens de garde.

Cela pourrait également rapprocher, d’une certaine manière, d’une certaine posture de Lorant Deutsch lui-même, la catharsis en moins [14].

Lorant Deutsch se met aussi en scène comme héros solitaire […] pour provoquer la sympathie de son auditoire. Car cette solitude est vécue comme une blessure que seule l’histoire est parvenue à guérir en lui donnant une “carapace” qui, si on le suit bien, lui permet de prendre sa revanche sur des gens qui le regardaient jadis de haut […].

Je déteste fondamentalement le procédé polémique consistant à aller farfouiller les anciennes déclarations d’une personnalité pour les mettre en contradiction avec des propos récents. Surtout quand lesdits propos sont éloignés de plusieurs années, voire des décennies [15]. Comme si le “soi” de 30 ou 40 ans pouvait – et devait – avoir les mêmes convictions que celui de 20. C’est totalement absurde. Je vais partir donc du principe qu’Aurore Chéry était absolument sincère quand elle a participé à l’écriture des Historiens de garde et l’était également lors de celle de L’intrigant. Idem, loin de moi l’idée de mettre en équivalence terme à terme Aurore Chéry et les historiens de garde mentionnés dans le livre et d’en conclure “Chéry, Sévillia, Ferrand, même combat”. Cela profondément injuste et stupide. Son engagement auprès du CVUH permet de bien faire la différence entre elle et les intentions politisantes des historiens de garde. On notera tout de même une certaine inflexion de sa pensée sur le sujet. Je ne saurais nommer cela “trahison” ou “compromission”, car j’en sais bien trop peu. Je note malgré tout une évolution en forme d’avertissement. Cela peut nous arriver à tous. Peut-être ai-je déjà ce problème, allez savoir.


[1] Je ne saurais dire si les passages des Historiens de garde cités ont bel et bien été écrits par Aurore Chéry ou non. In fine cela importe assez peu. Car, dans tous les cas, on peut considérer qu’elle a au moins relu les passages qui n’étaient pas de sa plume et a donc acquiescé à leur parution.

[2] de Baecque A., “Qui gouverne la Révolution ? Trois livres posent la question”, Le Monde, 30 septembre 2020 (dernière utilisation le 25 octobre 2020)

[3] Lorrain F.G., “Qui était vraiment Louis XVI ?”, Le Point, 30 septembre 2020 (dernière utilisation le 25 octobre 2020)

[4] Mallaurie G., “Louis XVI en Mao Tse Toung, un livre nucléaire !”, Historia, 24 septembre 2020 (dernière utilisation le 25 octobre 2020)

[5] “Louis XVI décapé”, L’Histoire, octobre 2020 (dernière utilisation le 25 octobre 2020)

[6] Martin J.C., “L’Intrigant d’Aurore Chéry ou à la recherche du passé perdu”, blog personnel de l’auteur, 27 septembre 2020 (dernière utilisation le 25 octobre 2020)

[7] Madec M., “L’intrigant, nouvelles révélations sur Louis XVI”, Clionautes, 18 octobre 2020 (dernière utilisation le 25 octobre 2020)

[8] Tweets de @david_feutry (26 septembre 2020) et @ChopelinP (27 septembre 2020) (dernières utilisations le 25 octobre 2020)

[9] Tweets de @ComeSimien (28 septembre 2020), de @FraySebastien (1er octobre 2020) et @david_feutry (27 septembre 2020) (dernières utilisations le 25 octobre 2020)

[10] Tweet de @Aurore_Chery (30 septembre 2020) (dernière utilisation le 25 octobre 2020)

[11] Tweets de @ComeSimien (28 septembre 2020) (dernière utilisation le 25 octobre 2020)

[12] Tweet de @Aurore_Chery (28 septembre 2020) (dernière utilisation le 25 octobre 2020)

[13] Blanc W., Chéry A. et Naudin Ch., Les historiens de garde, Paris, 2013, p. 200-201 et 204.

[14] Blanc W., Chéry A. et Naudin Ch., Les historiens de garde, Paris, 2013, p. 131.

[15] Sans avoir vérifié de manière précise, il me semble en avoir déjà usé dans les colonnes de ce blog. C’était l’état de ma réflexion à ce moment. Il est sûr que je ne réécrirais pas ces articles de la même manière aujourd’hui.

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