[Tourisme historique] Xiao Liuqiu, deuxième partie

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Vue d’une ouverture dans le bunker de Xiao Liuqiu. Photo de l’auteur, mai 2020.

Cet article vient continuer et clore une présentation de différents sites historiques encore visibles de l’île de Xiao Liuqiu. Lors du premier article, je me suis surtout intéressé à l’étymologie du nom “Xiao Liuqiu” et aux sites datant du XVIIème siècle, notamment autour de la “grotte aux esprits noirs”. Dans cette seconde partie, je voudrais avancer de quelques siècles et présenter les sites historiques de la fin du XIXème et du XXème siècle. Je n’ai cette fois-ci malheureusement trouvé qu’assez peu d’informations sur les lieux en question. En effet, à ma connaissance, la littérature scientifique – quelle soit en chinois ou en anglais – semble assez rare. Ou je n’ai pas su puiser aux bonnes sources, n’étant pas encore vraiment au fait des ressources bibliographiques (base de données documentaires, plateforme type JSTOR ou Persée pour les revues en ligne etc.) disponibles localement. Dans tous les cas, il s’agira donc plutôt d’une présentation assez brute accompagnée de quelques commentaires.

Enfin, étant donné la petitesse du territoire investigué, je pense en avoir fait un tour relativement exhaustif, même si certains mériteraient une deuxième investigation. Néanmoins, si certains d’entre vous connaissent des lieux qui n’ont pas été discutés ici, faites-le moi savoir, que ce soit dans les commentaires ou à michel@lhistoirestuncombat.net. Je serai ravi de retourner sur les lieux et voir de quoi il en retourne !

 

Un phare et des abris anti-aériens, vestiges de la présence japonaise :

 

Photo du phare blanc de Xiao Liuqiu / © Wikimedia Commons

Tout d’abord, intéressons nous au phare de l’île de Liuqiu (琉球嶼燈塔, liuqiuyu dengta), également communément nommé 琉球白燈塔 (liuqiu baidengta, littéralement “phare blanc”) (photo ci-contre). Situé au sud-est de l’île, l‘édifice – haut d’un peu plus de 88 mètres – a été commissionné en 1929 par l’association professionnelle locale des pêcheurs afin de sécuriser le trafic maritime dans cette région [1]. Comme son nom usuel l’indique, le bâtiment est une tour circulaire entièrement blanche faite de béton. Au cours de la Deuxième guerre mondiale, à une date inconnue, le phare a été éteint afin de protéger Xiao Liuqiu de potentiels bombardements américains. Nous verrons que cette peur du bombardement n’est pas sans lien avec un autre vestige de la période d’occupation japonaise. Cet arrêt momentané ne sonne toutefois pas la fin de l’histoire du phare de Xiao Liuqiu. En effet, au début des années 1950, sa gestion et son entretien sont transférés au bureau des douanes, dépendant du ministère des finances. Sa puissance d’éclairage varie au cours du temps pour finalement atteindre 10 000 candela à partir de 1980. Cela permet une visibilité à 14, 3 milles nautiques, soit environ 26 kilomètres. Enfin, depuis 2013, le phare appartient aux missions dévolues aux autorités du bureau des affaires maritimes et portuaires, sous la juridiction du ministère des transports. Même si le phare est devenu un site touristique populaire, il reste toujours en service et est célébré comme site patrimonial, notamment par une représentation sur timbres en 2010.

Informations relatives aux potentiels abris aériens au sein du Shanzhu dong. Photo de l’auteur, mai 2020.

La période d’occupation du deuxième lieu date également du moment colonial japonais. C’est en tout cas ainsi que cela est présenté aux touristes de passage (photo ci-contre). Il est situé au centre-ouest de l’île, au sein d’un espace touristique plutôt fréquenté, 山豬溝 (shanzhu gou, le ravin du sanglier) [2], au milieu d’une forêt faite de banyans centenaires et de formations rocheuses qui font le plaisir des adeptes de géologie. Même si le site est indiqué par différents panneaux et donc aisément trouvable, la communication touristique axe essentiellement son propos sur les richesses géologiques du site.

De fait, après avoir suivi un chemin bien balisé et passé un espace plutôt étroit, le visiteur peut découvrir une série de trois réduits à même la roche dont il est difficile de savoir s’il s’agit d’une œuvre d’hommes ou les conséquences d’une quelconque activité naturelle. Selon les informations présentées sur les lieux (photo ci-dessous), ces réduits auraient été utilisés comme abris anti-aériens par les habitants pendant la période coloniale. L’absence d’un quelconque marqueur temporel directement relié à cette période rend difficile toute tentative de datation. Certes, le caractère temporaire de ce type d’occupation fait que cette absence de marqueur temporel n’invalide pas a priori l’éventualité d’une présence humaine pendant la période japonaise.

Un des réduits présentés comme des abris anti-aériens datant de la période coloniale japonaise. Photo de l’auteur, mai 2020.

Cette identification peut prendre un peu de force si l’on replace Taïwan et Xiao Liuqiu dans la perspective de la Guerre du Pacifique, seul conflit armé avec emploi d’avions ayant affecté Taïwan pendant le demi siècle japonais. En effet, du fait du développement industriel et des bases navales de l’île, certaines villes de l’île principale de Taïwan ont été visés par des bombardements de l’US Air Force. C’est le cas des villes actuelles de Taïpei [3], Taïnan, Kaohsiung [4] ou Chiayi. Lors de ces événements, notamment celui de Kaohsiung, les autorités municipales ont demandé aux habitants de se réfugier dans les montagnes aussi vite que possible. Par ailleurs, nous avons vu que la possibilité de raids aériens sur Xiao Liuqiu a poussé les autorités locales à éteindre le phare à une date indéterminée durant le conflit. Cette crainte semble s’être matérialisée au moins une fois, lors du coulage du Nissho Maru en juin 1945 par des avions américains [5].

Même si la très faible population de Xiao Liuqiu à cette époque et son industrie essentiellement halieutique tendent à faire penser qu’il ne s’agissait pas d’une cible importante [6], l’éventualité de bombardements aériens américains peut avoir incité des habitants à chercher des refuges dans la montagne en cas de besoin. Il n’est pas non plus impossible que ce lieu était connu des habitants des environs en raisons d’utilisations antérieures (refuge contre des intempéries ou lieu propice pour se cacher d’assaillants, par exemple). Par conséquent, le réemploi en tant que potentiel abri anti-aérien ne serait qu’une affectation parmi d’autres. Rien ne nous dit si ces abris ont vraiment été utilisés. Idem, on ne peut pas non plus totalement écarter une reconstruction mémorielle postérieure, les espaces présentés étant assez difficilement compatibles avec la présence de plusieurs (dizaines de ?) personnes pendant un certain temps. Il convient donc d’en conclure le caractère plausible d’une telle identification sans pouvoir en être totalement assuré.

 

Bunker et système de défense, empreinte spatiale de la dictature GMD à Xiao Liuqiu [7] :

 

Photo de la tour d’observation opérant probablement en liaison le bunker près des installations portuaires de Shanfu. Photo de l’auteur, mai 2020

Vue extérieure d’une des deux ouvertures du bunker. Photo de l’auteur, mai 2020.

Enfin, le dernier site que je voudrais présenter est composite et, de manière générale, fermement ancré dans la période de dictature des Jiang (Jiang Jie-Shi et Jiang Jing-Guo). Il s’agit d’une série d’installations de défense côtière constituée d’une tour d’observation et surtout d’un grand bunker [8]. Le tout est situé au centre-ouest (bunker) et nord-ouest (tour d’observation) de Xiao Liuqiu. A l’instar des “abris anti-aériens”, ces installations ne sont pas réellement mises en valeur pour elles-mêmes par les autorités culturelles locales. En effet, le bunker fait partie du parc écologique de Shanfu, dont la communication s’articule bien plus sur la géologie et la flore et faune maritime locale que sur les vestiges, qui pourtant dominent largement le paysage. Cela induit un manque d’efforts de conservation – par choix ou contraintes budgétaires – et un état de dégradation parfois important. De son côté, la tour d’observation – que je n’ai pu voir de plus près, mais qu’il me semble falloir associer au bunker en raison des similarités de peintures extérieures – est quant à elle entourée d’installations hôtelières liées au site touristique de 美人洞 (meirendong, la grotte de la belle femme).

J’ai également noté un ancrage dans la période dictatoriale. De nombreux indices poussent à cette conclusion. Tout d’abord, la maçonnerie massive et entièrement bétonnée tend à dater le tout de l’époque contemporaine, probablement le XXème siècle. La présence de textes – d’ordre militaire, sur la sécurité et des conversions entre différents standards de mesures – en chinois indique que le bâtiment fut construit après 1945 et la prise de possession de Taïwan par la république de Chine. Cela est tout à fait cohérent avec la localisation géographique. Au centre-ouest de l’île, le bunker regarde directement la Chine. Le bunker est également près des (petites) installations portuaires de Shanfu, une des seules possibilités pour un débarquement, les côtes de l’île étant largement dominées par les récifs coraliens. Dans ce contexte une installation défensive fait donc sens. Par ailleurs, les informations officielles recensent la présence de canons à une certaine époque puis la démilitarisation du site et sa conversion en attraction touristique depuis l’avènement de la démocratie à Taïwan. On ne peut pas non plus écarter d’emblée l’éventualité d’une construction japonaise réemployée par le nouveau gouvernement du GMD.

Escalier conduisant vers l’intérieur du bunker. La présence de pierres de toute évidence travaillée par l’homme pourrait accréditer l’hypothèse d’un établissement défensif antérieur au bunker actuel. Photo de l’auteur, mai 2020.

Il semble néanmoins possible que le bunker ne soit pas la première occupation de cet espace côtier. En effet, le long couloir zigzaguant jusqu’à l’intérieur du bunker utilise des matériaux bien différents. Si le bunker est une construction entièrement bétonné, le couloir semble avoir été taillé directement dans la roche (photo ci-contre). Doit-on conclure à la préexistence d’un site (défensif?) antérieur ? Cela est envisageable, surtout dans le cas d’une défense du port de Shanfu. Toutefois, n’ayant pas réussi à trouver des informations concordantes, je ne saurais être plus précis. Si un ouvrage défensif pré-1945 a existé, il ne saurait pour autant remonté plus haut que le début du XIXème siècle. En effet, des sources de la fin du XVIIIème siècle indiquent que des sites politiques et économiques majeurs de l’île principale de Taïwan n’étaient protégés que par des palissades ou des levées de terre, au grand dam des autorités impériales [9]. La datation des petites installations portuaires de Shanfu pourrait donner une indication chronologique, si tant est que les deux sont liés.

Quoi qu’il en soit, il demeure évident que le bunker actuel date bien du XXème siècle. Penchons nous désormais sur certains détails du bâtiment. Si la taille et la multitude de pièces laissent imaginer une population relativement importante (servants des canons, commandement et intendance), l’exiguïté de l’espace de stockage des provisions (photo ci-dessous) pousse à envisager un effectif plus restreint. Ou que l’intendance était externalisée. En ce qui concerne l’artillerie, les pièces étaient probablement stockées dans les deux chambres du bunker et sorties – plus ou moins partiellement – lors du feu. Il m’a malheureusement été impossible de trouver des informations précises sur le type de canon utilisé. La photo prise par un autre visiteur montre un schéma d’un canon anti-aérien – probablement un Bofors 40 mm de fabrication suédoise – , ce qui ne correspond pas vraiment à la configuration du bunker. Il est donc nécessaire d’envisager la présence potentielle d’artillerie dans les chambres du bunker et de défenses anti-aérienne sur l’esplanade adjacente ou sur les hauteurs.

Intérieur d’une des chambres pour un canon. Selon certains, les trous visibles sur le plafond permettraient d’atténuer le bruit lors d’un tir. Photo de l’auteur, mai 2020.

D’autre part, la présence de charnières tournées vers l’extérieur sur les deux ouvertures incline à imaginer la présence de portes battantes. L’absence de sillon apparent facilitant le roulement des portes peut malgré tout interroger. Idem, la présence de cadres peints dans les couleurs du bunker pourrait faire penser à la présence d’un volet roulant. Tout cela était peut-être contrôlé par le panneau de commandes électrique en extérieur (photo ci-dessus), si tout cela est d’époque. L’explication la plus probable pour ces fermetures est liée aux intempéries. En effet, le bunker, au ras de la côte et bas par rapport au niveau de la mer, pourrait subir les aléas de la saison des typhons à Taïwan. J’ai moi-même été témoin des dégâts potentiels, les chambres des canons étant inondées et d’autres pièces pas exemptes de petites flaques laissées par les fortes pluies des jours précédant mon voyage (photo ci-contre). Des ouvertures permettent de continuer l’observation lors d’intempéries.

Photo de l’armurerie du bunker (軍械室, junxie shi) et d’un espace de stockage des provisions alimentaires (糧秣庫房). Photo de l’auteur, mai 2020.

L’intérieur et l’agencement du bâtiment est assez difficilement identifiable lors de la visite. En effet, nous sommes face à de grands espaces désormais vides et souvent mal entretenus, le métal étant rongé par la rouille et maculé de boue. On décèle malgré tout l’existence d’une petite armurerie fermée par des grilles. Devant la petitesse de l’ensemble, je serais tenté de penser que cela ne devait contenir que des armes légères et leurs munitions. D’autres visiteurs/blogueurs notent la présence d’une “salle Zhongshan” (destinée à la formation politique des soldats), d’un espace de stockage et d’un dortoir. Je n’ai pas pu constaté certains détails décrits par les autres visiteurs, notamment le dortoir et la salle Zhongshan, probablement par un certain manque d’attention et/ou l’inaccessibilité de certains espaces du fait des intempéries. Enfin, revenons à la question de l’artillerie. Où était stockées les munitions des défenses anti-aériennes et des canons plus imposants que la configuration générale du bunker laisse supposer ? Difficile de savoir pour l’instant.

Dans tous les cas, mon observation personnelle et les constats d’autres visiteurs s’accordent pour noter l’absence de commodités pour l’alimentation, l’hygiène corporelle ou la lessive. La première et la dernière tache étaient-elles externalisées dans un endroit tiers ? La deuxième était-elle possible grâce au point d’eau faisant désormais office de toilettes pour les touristes ? Je ne saurais répondre pour l’instant à ces questions. Une visite plus détaillée et sous les auspices d’un ciel plus clément serait nécessaire.

 

Conclusion :

 

Xiao Liuqiu possède indéniablement des vestiges historiques qui méritent l’attention. Que ce soit les (brèves) relations avec les populations austronésiennes, les présences japonaise ou GMD, les événements de la grande île de Taïwan ont également eu une influence sur le développement de l’îlot. Les différents vestiges présents peuvent en témoigner. Du fait de cette richesse, il demeure dommage que plusieurs installations soient désormais dans des états de semi abandon. Je ne blâme pas nécessairement les autorités locales, étant bien conscient que les coûts engendrés peuvent être assez importants, tout du moins prohibitifs pour une petite communauté vivant de la pêche et du tourisme comme Xiao Liuqiu. L’élément plus questionnable concerne le peu d’investissement publicitaire ou informatif sur plusieurs sites. Des panneaux indicatifs et explicatifs bilingues chinois-anglais sont souvent présents, mais ils se concentrent essentiellement sur des aspects écologiques ou géologiques plutôt qu’historiques. Si les sciences naturelles et physiques sont tout autant dignes d’intérêt que les sciences de l’homme, il demeure que l’histoire des personnes ayant vécues sur ces terres mérite également d’être exposée plus en détail.


[1] L’ensemble des informations proviennent de 琉球嶼燈塔, 交通部船港局 (site internet du bureau des affaires maritimes etportuaires), 1er juillet 2020 et 李素芳 (Li Su-Fang), 台灣的燈塔 (taiwan de dengta, Les phares de Taïwan), Taïpei, 2002, p. 126-131.

[2] Pour la petite histoire, ce nom proviendrait de la légende d’une divinité féminine étant venu se baigner à cet endroit. Pendant sa baignade, un sanglier pouvant prendre forme humaine, amoureux de la divinité, est venu volé les vêtements. Après marchandage, il lui rend contre sa promesse de rester à ses côtés. Une fois rhabillée, elle repart au ciel. Le sanglier se meurt d’amour quelques temps après. De ce fait, ce lieu est nommé “le ravin du sanglier”.

[3] Han Cheung, “Taipei Air Raid: a forgotten tragedy”, Taipei Times, 7 juin 2015.

[4] Shi Ming-Xiong, “US bombing of Taiwan and Han’s ignorance”, Taipei Times, 12 novembre 2019.

[5] 蔡秀芳, 小琉球的風土人文與語文教學, Taïpei, 2010, p. 74 et “發展建設”, Site internet du canton de Xiao Liuqiu, 4 mars 2010

[6] Sur cette question, voir le master de Zong-Xin Lee, Les changements sociaux et économiques à Xiao Liuqiu (1622-1945) (李宗信, 小琉球社會與經濟變遷 (1622-1945)), soutenu à l’Université nationale normale de Taïnan en janvier 2004, p. 104-105. L’auteur fait état d’une population d’environ 6000 habitants pendant la guerre. Juste avant le conflit, la population active travaillait à plus de 80% dans l’industrie de la pêche.

[7] Pour une vue d’ensemble du site, on pourra aller voir ce cliché d’un contributeur sur Google maps.

[8] Par commodité, je vais parler de “bunker” au singulier. La présence d’une autre ouverture en tout point similaire à celle de la photo ci-dessus pourrait faire penser à une autre structure, dirigé vers un autre espace. Les fortes pluies des jours précédents ayant inondé de larges parties du site, il m’a été impossible de vérifier plus avant. L’hypothèse d’un bunker unique demeure l’éventualité la plus plausible de la relative petitesse du site et du manque de cohérence d’un tel projet.

[9] Shepherd J.R., Statecraft and Political Economy on the Taiwan Frontier, 1600–1800, Taïpei, 1995, p. 355

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