[HistoireEnCité] Voir Athènes depuis Taïpei. Eléments pour l’étude de la réception de la Grèce ancienne à Taïwan

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Peluche représentant Apollo (阿波羅 , aboluo), une des mascottes du parc E-Da. Il tient une épée, élément qui n’apparaît pas ailleurs. © Site internet E-Da.

Cet article est la reprise d’une contribution écrite pour le site Antiquipop, spécialisé dans les questions de réception de l’Antiquité classique dans la culture pop contemporaine, au mois de février 2020.

J’y étudie les différentes références à l’Antiquité gréco-latine dans un parc d’attractions taïwanais, E-Da amusement park, et ce qu’elles peuvent nous dire sur la réception de la période dans la société taïwanaise contemporaine.


Les différents contributeurs d’Antiquipop ont eu le plaisir de nous faire découvrir la réception de l’Antiquité dans de nombreux espaces et par divers acteurs des cultures pop contemporaines. Malgré leurs efforts, il reste – à ma connaissance – encore beaucoup à écrire sur la réception des périodes antiques extra-occidentales dans les cultures pop occidentales contemporaines [1]. Idem pour ce qui est des réceptions de l’antiquité gréco-latine dans des cultures pop d’espaces exotiques [2]. En effet, si, par exemple, l’étude de la réception universitaire et scientifique des classiques gréco-latins en Chine ou au Japon est documentée, son versant pop est plus confidentiel.

Par cet article, je vais essayer d’apporter une (petite) pierre à cette édifice. De fait, cette tentative de défrichage d’un nouvel espace – Taïwan – ne saurait pouvoir prétendre à une quelconque exhaustivité. Ni même une relative représentativité. Et ce du fait des conditions fortuites de découverte des éléments dont je vais parler ci-après. En effet, la plupart le furent lors de déplacements personnels ou professionnels dans la ville de Kaohsiung et ses alentours, dans le sud de l’île. Ces conditions peu propices ont influencé la quantité des découvertes ainsi que la qualité des photos prises pour en témoigner. Je m’en excuse par avance. Idem, un tel sujet ne saurait être traité de façon satisfaisante par l’intermédiaire d’un seul article. C’est pourquoi je vais ici porter mon attention sur le E-Da amusement park, un parc d’attractions des environs de Kaohsiung. En l’état actuel de ma réflexion, celui-ci peut paraître plutôt représentatif d’une certaine réception – tout du moins populaire – de la culture hellénique à Taïwan.

En ce qui concerne les raisons ayant conduites aux choix de ce thème grec et des attractions présentées par les concepteurs, je ne prétends en aucune façon apporter une interprétation, ni même une ébauche réflexive. En effet, je n’ai pas trouvé de matériel suffisant pour cela. A ce sujet, mon intention sera donc essentiellement descriptive. En revanche, à propos de l’impact de cette scénographie sur les visiteurs taïwanais, je me risquerai à une interprétation personnelle, certes limitée.

Je tiens également à chaleureusement remercier Fabien Bièvre-Perrin pour son invitation à écrire dans les colonnes d’Antiquipop. Sans lui ces différents éléments seraient restés quelques tweets insignifiants perdus dans les internets. Or, Taïwan – comme tous les espaces extra-occidentaux – mérite une place dans l’histoire de la réception de la culture et l’histoire gréco-latine. En espérant que ces réflexions nous amènent à nous interroger sur la réception des antiquités extra-occidentales dans nos contrées.

 

Présentation des lieux :

 

Plan du parc d’attractions “E Da theme park” / © Site internet E Da

La ville de Kaohsiung – une métropole industrielle en voie de transformation d’environ 2,7 millions d’habitants – compte plusieurs parcs d’attraction ou de récréations destinés aux familles. L’un d’entre eux – probablement le plus important – se nomme E-Da theme park (義大遊樂世界, yida youle shijie). A noter que l’E-da theme park n’est qu’une partie d’un grand groupe commercial – E United (義联集團, yilian jituan) – fondé dans les années 1990. Outre le parc d’attractions, le groupe compte des entreprises industrielles (logistique, aciérie), un hôpital, une université, un groupe scolaire (comprenant école élémentaire, collège et lycée), des compagnies de bus, un hôtel et un centre commercial. Malgré cette diversité industrialo-commerciale, le parc d’attractions est le fer de lance public du groupe. Or, pour des raisons qui me sont encore obscures, la majeure partie de l’esthétique du parc est centrée sur la Grèce antique. Le plan des lieux peut nous en donner un premier aperçu.

Tout d’abord, le nom des différentes zones sont inspirés de la culture grecque ancienne – “Acropolis” (Zone A) ; “Trojan castle” (Zone C) [3] – ou plus contemporaine – “Santorini” (Zone B). Néanmoins, toutes les attractions et activités ne sont pas en rapport avec l’antiquité grecque. Certains n’ont même rien à voir. De fait, les premier et second étages du bâtiment de la zone B sont occupés par un “Candy kingdom” et par une attraction sur le thème de la piraterie. Idem, dans le bâtiment de la zone C. Ici les espaces sont dévolus à des jeux en réalité virtuelle, d’horreur ou des carrousels. Nous verrons malgré tout que l’antiquité grecque y est rappelée par petites touches décoratives.

 

Un Parthénon impérial :

 

Dès son entrée dans le parc, le visiteur est emmené vers un bâtiment à colonnes pseudo-ioniques surmontées de chapiteaux pseudo-corinthiens, c’est le E-Da royal theater, figurant le Parthénon. Il abrite la plupart des différents spectacles proposés, aux thèmes très variés. Pour l’exemple, lors de ma visite – décembre 2019 – , le spectacle principal s’appelait “Dancing youth” et présentait des petites scénettes acrobatiques avec pour toile de fond l’imagerie populaire du lycée étatsunien, fait de basketteurs et de pom-pom girls. Ce royal theater héberge également le spectacle de deux des mascottes du parc, Apollo (阿波羅, aboluo) et Diana (黛安娜, dianna) (sic!), respectivement dans les coins gauche et droite du plan ci-dessus.

Détail du E-Da royal theater (義大皇家劇院). De gauche à droite, probablement Apollon, Athéna et Aphrodite / © Harry Huang – Flickr

Vue générale du E-Da royal theater (義大皇家劇院) / © Harry Huang – Flickr

Par ailleurs, outre l’architecture générale du bâtiment, un certain soin a été apporté à la volonté de ressemblance

avec l’original athénien, notamment dans la frise stylisée et des représentations se voulant héroïco-divines. De même, on notera avec intérêt l’absence de couleurs, rejoignant ainsi l’image conventionnelle – mais erronée – de la statuaire et l’architecture grecs comme puretés immaculées. En revanche, si l’extérieur est en accord avec le thème, l’intérieur est quant à lui beaucoup plus conventionnel, l’entrée n’étant qu’un grand espace ouvert desservant les commodités et les salles grâce par des couloirs décorés de tapis. C’est une constante dans l’ensemble du parc. Si les extérieurs sont très clairement identifiés hellénisants, les intérieurs correspondent à des goûts décoratifs plus modernes.

Enfin, le choix de l’adjectif anglais “royal” – qui n’est que la traduction assez fidèle de son alter ego chinois 皇家 (huang jia), même si huang possède plutôt une connotation impériale que strictement royale – surprend un peu pour décrire un bâtiment si directement relié à la démocratie athénienne au fait de sa puissance.

Détail du E-Da royal theater (義大皇家劇院) / © Harry Huang – Flickr

 

Saupoudrage mythologique :

 

Capture d’écran Google maps de la figure de Poséidon dans le parc d’attractions E-Da. Les photos ont été prises en septembre 2017, mais peu de modifications apparentes lors de ma visite (décembre 2019).

Capture d’écran de Google maps figurant un cyclope et un héros armé indéterminé

Après l’Acropolis – et une signalétique plutôt hasardeuse – , le visiteur arrive dans le “boulevard grec” (希臘大到, xila dadao). C’est l’artère principal du parc, traversant l’ensemble de la zone B et aboutissant à la zone C, sous le cheval de bois. C’est ici que se concentre la plupart des représentations proprement mythologiques, notamment celles des divinités olympiennes. De fait, une attraction aquatique est patronée par Poséidon, paré de ses attributs habituels et d’hippocampes, auquel est étrangement associé une créature tricéphale – visible sur le plan ci-dessus. On serait tenté de l’associer avec l’Hydre de Lerne.

Moins surprenante sera l’association géographique entre Poséidon et un personnage cyclopéen, ce dernier, armé de sortes de gourdins, étant en face du Poséidon. A noter que ledit cyclope – très probablement le plus célèbre d’entre eux, Polyphème – est menacé par la présence d’un personnage muni d’une courte épée (une dague ?) et d’un bouclier. Cet équipement militaire disqualifie une identification ulysséenne. L’exposition du bouclier ainsi que la position de la lame pourrait faire penser à Persée, mais cela n’est que pure spéculation. L’hypothèse d’une juxtaposition ou la distorsion de plusieurs mythes dans des buts esthétiques et/ou scénographiques peut être soutenue. Idem, que celle d’une éventuelle envie des concepteurs d’immerger plus profondément le visiteur dans le thème. Cela ne saurait d’ailleurs pas la seule occurrence de ce “myth dropping” à tendance cosmétique. En effet, dans le restaurant un écriteau informatif est illustré par un canidé tricéphale – Cerbère – , des fantômes stéréotypés et la mention d’un “HADES”. Il s’agit du seul exemplaire que j’ai directement observé, mais je ne saurais affirmer qu’il s’agisse d’un unicum

Capture d’écran de Google maps figurant le “Apollo’s palace”

Une fois la famille poséidonienne derrière lui, la prochaine étape du visiteur est un lieu dont le nom anglais est “Apollo’s palace”. Son original chinois est beaucoup moins fautif en terme de proximité avec la réalité. En effet, 阿波羅神殿 (aboluo shendian) se traduit avec assurance par “sanctuaire d’Apollon”. Or, le bâtiment ne donne pas facilement à voir son attribution apollonienne. C’est une bâtisse assez quelconque dont la façade est flanquée de deux niches avec chacune un personnage en habit militaire et casqué, mais sans arme ni bouclier. En l’absence d’arc et de flèches ou d’une lyre – attribut que possède la mascotte du parc – , le seul élément visuel raccrochant le bâtiment au mythe apollonien est le reptilien bicéphale à l’exergue du nom. On peut y voir une figuration de Python, le serpent qu’Apollon a vaincu pour pouvoir prendre possession du sanctuaire delphique. Tout cela doit malgré tout rester plutôt cryptique pour le visiteur taïwanais moyen. Surtout que le but de cet emplacement est avant tout commercial. De fait, selon les informations présentes sur le site internet, le “palais” est un magasin de souvenirs consacré à la mascotte du parc et ses camarades.

Pour en finir avec les références mythologiques, le plus frappant n’est pas tant les divinités présentes que celles qui sont absentes. En effet, les principaux olympiens sont absents, à commencer par Zeus et, dans une moindre mesure, Hadès. Idem pour Diana-Aphrodite dont l’image est exploitée uniquement pour un décor mural, le merchandising et la communication. De façon générale, mis à part Apollon et Aphrodite-Diana, qui ont un statut un peu à part, aucun des dieux ou héros n’est directement nommé. Plutôt une volonté ne pas alourdir les décors ou impression d’inutilité car les visiteurs pourraient reconnaître ? Je n’ai aucun élément pour trancher.

 

Et un zeste d’imaginaire historique populaire :

 

Cheval de bois à l’entrée de la zone C. A l’arrière-plan un bâtiment faisant référence aux palais minoens et donc, en filigrane, au cycle troyen. / Photo de l’auteur

Le “palais d’Apollon” marque la transition entre la zone B et la dernière zone, C. Celle-ci est introduite par un grand cheval de bois, référence évidente au cycle troyen. Cheval qui n’a de vertu que décorative, aucune activité ou attraction ne le prenant pour cadre. Le bâtiment à l’arrière-plan n’est autre que le “château troyen” présenté précédemment. L’apparence générale, notamment les couleurs et les colonnades, font assurément référence aux palais minoens. On peut supputer ici l’influence de l’imagerie populaire créée et véhiculée par les reconstitutions d’Arthur Evans au début du XXème siècle. L’intérieur du bâtiment ne rappelle la Grèce ancienne que par petites touches, l’essentiel des espaces étant consacré à la restauration et au divertissement à travers des petites attractions, comme des auto-tamponneuses ou des simulations en réalité virtuelle. Ces petites touches sont des répétitions de soldats similaires à ceux du “palais d’Apollon”, mais aussi des incrustations en hauteur sur les murs de reproductions – plutôt fidèles, mais inscrites dans des espaces carrés – de monnaies antiques. J’ai observé deux types, une “chouette” et une Athéna du Vème siècle athénien ainsi qu’une Aréthuse syracusaine du début du IVème siècle. Cela ne saurait être surprenant étant donné la grande popularité et la célébrité de ces types monétaires. Il demeure qu’une nouvelle fois seul un œil un peu averti peut apprécier ces détails. Œil que le visiteur moyen n’a pas nécessairement.

 

Le projet d’un(e) passionné(e) ?

 

In fine, le projet d’ensemble du parc parait parasité par des soubresauts hors sujets et un manque d’ambition thématique. Certes, le parc n’est pas nominalement thématisé comme peut l’être le parc Astérix, il demeure que le gros œuvre – il y a fort à parier que toutes ces structures décoratives hellénisantes ne sont pas bon marché – marque l’identité du lieu comme d’inspiration grecque. Or, il en ressort un parc hybride, fait d’un patchwork hétéroclite, où la culture ancienne est un simple décor exotique. Des arguments économiques pourraient expliquer ce manque d’ambition, les parties hellénisantes, moins connues du grand public local, étant contrebalancées par des produits d’appel plus conventionnels, plus susceptibles d’attirer la clientèle. Je ne peux pas non plus écarter une éventuelle évolution des thématiques au fil des ans, le parc ayant ouvert ses portes au début des années 2010. Les parties thématiques moins rentables auraient dès lors été remplacées par des attractions plus classiques. Sans connaître la santé financière de l’entreprise, il est difficile d’aller plus loin.

Quoiqu’il en soit, il est nécessaire d’interroger ce choix particulier, l’économie ne paraissant pas être une clé de compréhension satisfaisante. Pourrait-on y voir un objectif politique ? De fait, un parc d’attractions peut, comme c’est le cas de Disney, tendre à faire passer des messages politiques ou idéologiques. Cela est envisageable, au moins au titre d’hypothèse de travail, mais il faut veiller à ne pas faire mentir les sources à disposition. De fait, la réception chinoise de la Grèce ancienne est centrée sur la question de l’impérialisme athénien autour de la Ligue de Délos, ceci permettant d’opposer des contre-arguments aux critiques occidentales sur l’expansionnisme chinois actuel. Or, le dirigeant et fondateur du groupe E United, 林義守 (Lin Yi-shou), semble plutôt partisan du Guomindang, le parti nationaliste chinois (GMD). Ce dernier est de plus en plus ouvertement pro-Pékin, notamment lors de la présidence de Ma Ying-jiu (2008 – 2016), marquée par un rapprochement diplomatique entre Pékin et Taïpei avec en point d’orgue une rencontre historique entre les dirigeants des deux pays. En effet, durant cette période, Lin Yi-shou a occupé le poste de conseiller de la présidence, sur nomination du président. Dans le contexte d’E Da amusement park le “Parthénon impérial” viendrait donc marquer un lien symbolique, d’autant plus subtil qu’il paraîtrait insignifiant (au sens d’absence de signification) pour la plupart des visiteurs, ce qui éviterait des lourdes polémiques, dommageables aux affaires.

Toutefois, il ne faut pas nécessairement conférer trop d’importance politique à cette nomination, Lin ayant pu être nommé pour sa seule expertise économique de “grand patron”. La pléthore de conseillers connus pendant cette présidence tend à aller dans ce sens. Par ailleurs, outre le fait que ce “Parthénon” est le seul élément accréditant cette hypothèse, comment donner un sens politique au 義大皇家酒店 (yida huangjia jiudian), un hôtel, et au 義大皇家別墅 (yida huangjia bieshu), un complexe immobilier huppé qui semble assez proche des gated communities étatsuniennes ? In fine, dans l’état actuel de ma compréhension, une interprétation politique taïwano-chinoise d’E Da amusement park s’avère plus que fragile. De manière générale, de telles tentatives, même si elles peuvent être parfois séduisantes et/ou stimulantes, ravale Taïwan et sa nation aux rangs d’appendices du “grand frère” chinois, ce que cette île n’est pas. Un ami taïwanologue m’expliquait qu’il faut “insulariser son regard” pour mieux comprendre Taïwan, pour mieux saisir ses dynamiques propres. Notre perception de la réception taïwanaise du passé hellénique antique ne saurait déroger à cette règle. Perception également handicapée par son européanité. En effet, ce que je considère comme un manque de cohérence dommageable n’est pas obligatoirement interpréter pareillement par les Taïwanais. Ne pas oublier de décentrer son regard d’Européen.

Dans tous les cas, nous sommes face au projet d’un concepteur ayant une connaissance raisonnable de la mythologie et de la culture grecque ancienne. Il – tant est si bien que Lin Yi-shou soit bien à l’origine du choix de la Grèce ancienne comme thème du parc – semble féru de culture grecque classique et a voulu faire transparaître cela dans ce projet de parc d’attractions. Cet affichage thématique, celui d’une culture mal connue, pose également la question de son efficacité auprès de son public local.

 

Quelle réception par les visiteurs locaux ?

 

Je ne saurais cacher qu’il m’est difficile de répondre avec assurance à cette question. Je ne peux me fier qu’à certaines de mes impressions, totalement subjectives j’en conviens. De fait, j’ai tendance à penser que toutes ces figures ne font pas frémir ou bouillonner l’imaginaire des petits – ou moins petits – taïwanais. Et ce car elles sont associées à un imaginaire culturel qu’ils ne peuvent pas vraiment décrypter. Pour exemple, je n’ai pas entendu un seul des élèves que j’accompagnais – des équivalents CP-CE2 – s’exclamer devant la découverte de tel ou tel personnage. Idem, lors du travail préparatoire à la sortie, les élèves témoignaient un intérêt certain pour les jeux en réalité virtuelle ou de voitures, mais aucun pour les personnages présents et le décor. Impression partagée par mes collègues anglophones. Cela est encore plus flagrant si on compare ces réactions avec celles qui pourraient avoir/ont déjà eu à l’évocation de l’histoire de Qu Yuan, personnage central de la fête des bateaux dragons, ou à celle de personnages liés à Halloween ou Pâques. Tout cela n’est guère étonnant, mais cela en dit relativement long sur la pénétration de cet imaginaire culturel dans la société taïwanaise, relégué qu’il est au rôle de décorum vide, supporté par aucun contenu culturel transmis par la société, l’enseignement de l’histoire ne commençant qu’à la fin de l’école primaire/début du collège.

 

雅典娜 (Athéna), 蘇格拉底 (Socrate) et 亞歷山大 (Alexandre) en pays formosan :

 

En forme de conclusion, entamons une courte réflexion sur la question suivante : qu’est-ce que les Taïwanais – de façon générale – connaissent de la culture hellénique ? Cela mériterait une étude plus approfondie, mais quelques éléments permettent de penser que ce savoir culturel est disponible, qui plus est plutôt aisément. De fait, une rapide recherche sur Wikipedia met en évidence que de nombreuses pages traitant des principaux dieux et héros ont leurs équivalents chinois. De même, des requêtes dans les grands librairies généralistes locales – books.com.tw et eslite.comavec les mots-clés 希臘神活 (xila shenhuo, vies des dieux grecs) et 希臘羅馬神活 (xila luoma shenhuo, vies des dieux gréco-romains) laissent apparaître plusieurs dizaines de titres, allant du livre pour enfants aux mangas en passant par les publications pour adultes. Idem, avec les mots-clés 古希臘歷史 (gu xila lishi, histoire de la Grèce antique) et 古羅馬歷史 (gu luoma lishi, histoire de la Rome antique). Certains musées proposent des contenus traitant d’Antiquité gréco-latine, tel l’exposition permanente du Chimei Museum, dans la ville de Taïnan, sur l’histoire de l’armement à travers les siècles et les espaces. Par ailleurs, des interprétations fictionnelles mettant en scène des personnages mythologiques ou héroïques sont également accessibles. Ce sont, par exemple, les films à grand spectacle américains [4], mais aussi une série animée nippo-coréenne de 2004 diffusée à Taïwan,  天神向前衝 (tianshen xiang qian chong, les dieux vont de l’avant/chargent en avant) [5].

Enfin, l’école joue également un rôle dans la diffusion des savoirs sur le monde grec ancien, au moins dans une dimension historique. En effet, les programmes d’enseignement – école primaire et collège ; lycée – contiennent des chapitres entiers portant sur le développement de la civilisation hellénique, l’organisation de la cité-état d’époque classique, Alexandre ou une présentation des dieux olympiens pendant des cours en fin d’école primaire, au collège et au lycée. Pour avoir suivi les différentes polémiques récentes concernant les réformes des programmes du secondaire, je suis bien conscient qu’il existe toujours un écart entre instructions programmatiques et réalités concrètes des classes. De même, l’importance horaire apportée à ces sujets, les méthodes d’enseignement et leur efficacité mériteraient examen. Quoiqu’il en soit, il est permis de penser que les probabilités pour qu’un élève taïwanais ait entendu parler d’Alexandre ou de Socrate durant sa scolarité sont assez élevées. Lesdits cours s’inscrivent dans la perspective plus large d’un enseignement de l’histoire mondiale, que ce soit, par exemple, l’Inde ou les pays africains. Outre une ouverture sur le monde – trait saillant de la société taïwanaise contemporaine ; visible au quatrième objectif des programmes de primaire et de collège (p. 2) – , ces enseignements semblent vouloir construire une “culture générale de l’honnête citoyen”, dont l’histoire et la culture grecques font partie.


[1] A définir selon chaque cas, le mot “Antiquité” prenant son origine – c’est bien connu – dans un contexte exclusivement européen.

[2] A noter, bien entendu, les contributions de Pascal Bernard et Elisabeth Buchet sur Antiquipop.

[3] Cette apparente incongruité ne saurait être mise sur le compte d’un problème de traduction, car le chinois 特洛伊城堡 (teluoyi chengbao) signifie bien “château troyen”. En fait, il fait référence au bâtiment en forme de fer à cheval à l’arrière du cheval de bois.

[4] Les péplums récents suivants ont tous été diffusés dans les salles taïwanaises avec un certain succès : Alexandre d’Oliver Stone (2004) ; Gladiator de Ridley Scott (2000) ; Ben-Hur de Timur Bekmambentov (2016), Exodus : Gods and kings de Ridley Scott (2014), Troie de Wolfgang Petersen (2004) et 300 de Zack Snyder (2006).

[5] Je ne rentre pas ici dans le débat de la qualité et la précision des informations apportées par ces publications ou ces oeuvres fictionnelles, discussion que je serais incapable de mener. J’entends simplement mettre en évidence que du matériel existe et est disponible en quelques clics.

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