[HistoireEnCité] Note sur les futurs programmes d’histoire en Terminale

N'oubliez pas de partager, ça aide le blog à avancer !

© Fabrice Erre

De manière générale, et surtout depuis mon émigration, j’ai plus ou moins consciemment décidé de ne plus parler des programmes scolaires dans l’enseignement secondaire français. En effet, n’étant pas un praticien de la chose en contexte réel, je me garde bien d’émettre un avis sur la qualité ou la faisabilité des programmes. Question de modestie et de respect pour le travail quotidien des enseignants. J’ai toute confiance en ces derniers qui, j’en suis sûr, essaient de faire leur maximum pour conjuguer contraintes horaires, ordres ministériels et considérations pédagogiques personnelles de la façon la plus efficace possible. Comme beaucoup d’autres professeurs, ils font de subtils mélanges entre ce qu’ils veulent, ce qu’ils doivent et ce qu’ils peuvent faire.

Toutefois, je voudrais malgré tout m’intéresser à ce sujet, car d’une certaine manière il interpelle une autre thématique qui m’est chère, la place de l’histoire dans la société française actuelle. En effet, les programmes scolaires sont, en quelque sorte, un miroir que la société se tend officiellement à elle même, mettant en avant certaines thématiques, en traitant d’autres de façons plus brèves. Par conséquent, examiner les programmes – et les réactions qu’ils provoquent – permet de toucher du doigt, même brièvement, certains aspects du rapport entre la société française et l’histoire, notamment certaines périodes contemporaines. Je n’entends pas par là qu’il s’agisse d’un reflet fidèle de la réalité des classes, les professeurs ayant la liberté de mener leurs barques comme bon leur semble et de s’adapter à leurs élèves et à la situation locale.

A noter, pour conclure ce préambule, que je me refuserai à toute critique ou opinion sur le versant pédagogique du débat. Et ce, une nouvelle fois, par aveu d’incompétence, mais aussi pour sortir du diptyque mortifère “chronologique vs thématique”. Enfin, même si la source est officielle, ces ébauches ne sont que des propositions, des documents de travail en attente de validation – ou invalidation et correction – par le ministère.

 

“Non mais vous êtes sérieux ?!”

 

La discussion est survenue suite à la réaction épidermique et spontanée – ce qui ne sont pas nécessairement des reproches – d’un enseignant du secondaire présent sur Twitter, Thibaut Poirot. Cette dernière faisait suite à la découverte des ébauches de programmes et de nouvelles grilles horaires pour les classes de Terminale [1]. De fait, le point qui a le plus irrité Thibaut Poirot est la faiblesse des horaires par rapport à la masse des notions et faits à enseigner. Je ne discuterai pas plus avant ce point car seul un praticien en poste peut juger de la faisabilité – avec l’espoir de résultats satisfaisants, bien entendu – d’une telle entreprise.

De fait, à mon avis l’élément le plus intéressant de l’état actuel de l’élaboration des programmes réside dans la répartition proportionnelle des horaires alloués. En effet, ils sont rigoureusement égaux, chaque partie recevant 1/4 du temps disponible, et surtout la période 1920-1945 est circonscrite au seul chapitre sur le sujet. Les programmes précédents [2] avaient plutôt tendance à disséminer ladite période au sein de plusieurs chapitres. Par exemple, celui de 2002 tendaient à nécessiter des rappels de la Deuxième guerre mondiale aux travers des conséquences de cette dernière sur le monde, l’Europe et la France. Les découpages thématiques et chronologiques du dernier programme en date permettaient quant à lui de revenir sur la période à plusieurs reprises. Je ne tends pas à signifier que c’était là une chose néfaste, mais que cela entraînait un effet de répétition.

De fait, les ébauches actuelles de programme tendent à donner une place moindre à la période 1929-1945 que précédemment. J’aurais même tendance à penser une place moins démesurée. Ceux qui auront lu certains de mes précédents articles auront compris que je ne vois pas nécessairement cela d’un mauvais œil. En effet, il me semble plus que temps de réussir collectivement à surmonter le traumatisme profond que fut la période 1929-1945. Ce potentiel rétrécissement d’horaire d’enseignement peut être un pas  sur ce chemin. La période n’est pas négligée, elle est juste remise dans une proportion raisonnable et qui ne compromet pas le présent. Le sempiternel retour des polémiques autour de cette période met en évidence que la société est actuellement incapable de ne pas en rediscuter. Il serait temps que l’on puisse collectivement aller de l’avant.

Par ailleurs, considérer, comme certains twittos, qu’un enseignement moins conséquent de ladite période amènerait à un affaiblissement des protections contre l’antisémitisme, la haine et le racisme, c’est proprement se fourvoyer. S’il n’est pensable de conjurer des maux présents que par l’injection toujours constante de remèdes passés, alors la société française a un problème plus grave que l’antisémitisme, celui de son incapacité d’adaptation et de réponse au présent. Si des exemples passés ne sont pas nécessairement à oublier et peuvent avoir des vertus pédagogiques, les problèmes du présent requièrent les solutions du présent. Même si le fond idéologique de l’antisémitisme reste peu ou prou le même – richesse consubstantielle à la judéité, domination mondiale à travers les institutions économiques etc. [3] – , il n’est plus le seul fait de l’extrême-droite, mais également de milieux islamistes [4] et de certaines mouvances de la gauche radicale [5]. De même, mon expérience personnelle m’indique que les accusations de nazisme ou pétainisme lancées contre les groupes d’extrême-droite ne font plus mouche. Elles ne servent tout simplement plus à rien, notamment parce qu’elles furent utilisées à tort et à travers. Voire même pire, elle permet à ces groupes de prendre une certaine position de martyr.

Par conséquent, il me semble inutile – et même peut-être contre-productif – de demander aux enseignants de s’appesantir plus que nécessaire sur l’intervalle 1929-1945 au nom de sa capacité à endiguer l’antisémitisme, la définition horaire de ce “plus que nécessaire” étant un débat important.. L’antisémitisme est un concept si mouvant qu’il faut adapter la réponse pour pouvoir l’affronter. 

 

Conclusion :

 

Pour conclure, les ébauches présentées ne présage certainement pas du programme le plus ambitieux intellectuellement. En effet, nous sommes ici face au retour d’une vision très classique et linéaire du récit historique. Un récit essentiellement politique et géopolitique, le tout agrémenté d’échantillonnages sur les évolutions culturelle et sociale de la société française. Je suis tout à fait conscient que le récit historique n’a pas la même fonction dans le monde universitaire que dans son pendant scolaire. Si l’un cherche l’établissement de faits et le rendu des mentalités de l’époque, le second se voue à donner aux élèves un socle suffisant pour pouvoir décrypter l’état du monde/de la société, se frayer un chemin dans les grands débats historico-politiques contemporains et, pour certains, poursuivre leurs études universitaires. Par conséquent, il serait aberrant de chercher un mimétisme d’intentions entre les deux. Néanmoins, il m’est d’humble avis que ledit programme peut avoir des vertus, notamment celle de laisser la Deuxième guerre mondiale un peu plus en arrière que précédemment pour se concentrer sur le très contemporain.


[1] On peut trouver les ébauches actuelles de programmes sur le site Eduscol. (Dernière consultation le 22 juin 2019)

[2] Je ne ferai ici référence qu’aux programmes les plus récents, c’est-à-dire 2002 et 2010.

[3] Knobel M., “Les stéréotypes et préjugés antisémites malfaisants“, Site internet du Conseil Représentatif des institutions Juives de France (14 janvier 2019)

[4] “Assiste-t-on à une résurgence de l’antisémitisme ? | Le tour de la question”, Chaîne YouTube de “La Croix” (11 juin 2018)

[5] “Etienne Chouard refuse de condamner le négationnisme”, France Soir (11 juin 2019)

N'oubliez pas de partager, ça aide le blog à avancer !