[Compte-rendu] Denny Roy, Taiwan. A political history, 2003

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Emblème officiel du Gouvernement de la Province de Taïwan, poste créé en 1945 par le nouveau gouvernement nationaliste et perpétué jusqu’en juillet 2018. Entre 1945 et 1998 il avait pour fonction de superviser l’ensemble des territoires ne relevant pas du gouvernement central. © 台灣省政府 / Wikimedia Commons

Pour tout francophone curieux et souhaitant avoir un aperçu global de l’histoire de Taïwan, il est encore à déplorer que les ouvrages généraux sur le sujet sont encore extrêmement rares. De fait, dans une recension bibliographique, l’Association Francophone d’Etudes Taïwanaises (AFET) n’a relevé que deux livres pouvant satisfaire notre quête de départ [1]. Devant cette difficulté bibliographique, et dans l’attente d’une meilleure compréhension de la langue chinoise, il m’a donc été obligatoire de me tourner vers la littérature anglophone. Après la lecture il y a quelques mois de quelques ouvrages permettant d’élaguer les principales branches de l’histoire taïwanaise [2], j’ai décidé de m’intéresser plus précisément à l’histoire proprement politique de l’île à travers Taiwan. A political history de Denny Roy. Si ce dernier permet d’aller plus loin et d’offrir une image plus nuancée des oppositions politiques encore à l’œuvre dans l’île, il est malheureusement atteint des différentes tares dont une vision restreinte de l’histoire politique accouche.

 

L’auteur et le livre :

 

Suite à un doctorat en sciences politiques de l’Université de Chicago en 1991, Denny Roy se spécialise dans les questions politiques, diplomatiques et sécuritaires dans l’Asie du Nord-est. De fait, au moment de l’écriture de Taiwan. A political history, il a déjà été l’auteur de China’s Foreign Relations en 1998 et (avec Kenneth Christie) de The Politics of Human Rights in Asia en 2000. Depuis, il continue de s’intéresser aux questions de sécurité notamment en Chine et en Corée du Nord [3]. Il a également signé des articles dans la presse, notamment pour le South China Morning Post en 2017 et 2018. Il est actuellement chercheur à l’East-West Center de l’Université d’HonoluluNous verrons que cette qualité de chercheur en sciences politiques spécialisé dans les relations diplomatiques a un certain impact sur l’agencement et l’ampleur générale du livre.

Après une introduction rappelant utilement des faits géographiques, démographiques et de relations inter-ethniques (p. 1-10), Denny Roy commence le traitement de son objet principal. Tout d’abord, il brosse à grands traits l’histoire des trois premiers siècles de l’histoire écrite de Taïwan, à savoir l’établissement des possessions hollandaises et espagnoles (1624-1661), le royaume de Dongning (1661-1683) et la souveraineté de l’empire Qing (1683-1895) (chap. 1, “Taiwan’s early history”, p. 11-31). Ensuite, le lecteur est entretenu de façon tout aussi brève de la période coloniale japonaise (1895-1945) (chap. 2, “The Japanese occupation”, p. 32-54). Dès que l’auteur s’intéresse à la présence de la république de Chine sur l’île (1945 à nos jours), les chapitres tendent à se faire plus étoffés et/ou détaillés. De fait, le chapitre 3 (“The return of Mainland rule”, p. 55-75) traite de l’arrivée du gouvernement nationaliste et des premiers conflits entre Taïwanais “de souche” et nouveaux venus, notamment autour des événements du 28 février 1947. Les pages suivantes (chap. 4, “Martial law and Kuomintang domination”, p. 76-105) sont quant à elles consacrées à l’établissement plus durable de la domination de Jiang Jieshi [4] à Taïwan au cours des années 1950 et 1960. Le nouveau régime s’établit par des versants sécuritaire – la lutte contre le communisme et l’indépendantisme taïwanais – et ethnique, les principaux postes exécutifs au sein du parti ou du gouvernement étant monopolisés par les exilés. En rupture avec les questions de politique intérieure, le chapitre 5 (“Taiwan in the Cold war”, p. 105-152) met en lumière la politique étrangère de la République de Chine entre 1945 et 1989, essentiellement autour des relations avec le régime communiste en Chine et les différentes administrations américaines. Denny Roy reprend le fil des débats internes avec la montée en puissance des oppositions et la lente route vers la démocratisation (chap. 6, “The opposition’s struggle and breakthrough”, p. 152-182). Outre les actions des groupes pro-démocrates, l’auteur souligne l’importance de la politique de Jiang jing-guo dans ce processus. Une fois la loi martiale abolie et la nomination de Lee Deng-hui comme nouveau président de la République de Chine en 1987, la démocratisation se poursuit. Ce processus, et plus largement la présidence Lee (1987-2000), est analysé pendant le chapitre 7 (“Taiwan under Lee Teng-hui”, p. 183-227). Enfin, l’ouvrage se termine par quelques pages traitant de la présidence – en cours en 2003 – de Chen Shui-bian (chap. 8, “The DPP captures the presidency”, p. 227-240) et une interrogation générale sur le passé de la société taïwanaise et son futur (chap. 9, “Taiwan’s history’s and Taiwan’s future”, p. 241-246). Une carte, un précis chronologique et un index viennent compléter le livre. On notera avec amertume l’absence de bibliographie, les références étant disséminées au fur et à mesure des notes infrapaginales. 

 

Critiques :

 

Comme le détail des chapitres permet de le pressentir, l’essentiel du livre (environ 80%) concerne la période 1945-2000. C’est ici le premier reproche que l’on puisse faire, une focalisation sur les évolutions contemporaines et donc une négligence pour les événements antérieurs. C’est regrettable car les XVIIème, XVIIIème et XIXème siècles sont traités de façon convaincante. Idem, très peu de pages sont consacrées aux interactions entre populations aborigènes et d’ascendance chinoise. Il s’agit donc essentiellement – encore une fois – d’une histoire politique de la société Han-Hakka de Taïwan.

Par ailleurs, sur les 190 pages traitant de la période 1945-2000, environ 1/3 sont consacrées aux questions de relations extérieures. Toutefois, je note avec joie que, contrairement à la biographie de Jiang Jieshi par Jay Taylor, Denny Roy s’est gardé de personnaliser à outrance – pour ne pas dire psychologiser – les questions diplomatiques. En effet, il reste toujours au niveau des relations intergouvernementales et donner à voir clairement les mécanismes en cours aux différentes périodes. Cette hauteur de vue tient probablement à un style d’écriture descriptif et factuel, ce que je ne saurais reprocher à Denny Roy. Toutefois, concernant les relations inter-détroit, on s’étonnera du peu d’intérêt de Denny Roy pour le fameux “consensus de 1992”. En effet, il n’en traite que succinctement aux pages 219-220 et 236-237. Or, ce dernier, après une résurgence en 2000 [5], continue, encore aujourd’hui, de constituer un point de tensions entre Pékin et Taïpei et un prérequis à toute discussion de la part du pouvoir communiste [6].

Toujours à propos des années 1990, on pourra reprocher à Taiwan. A political history une chronologie assez peu cohérente pour cette période. En effet, Denny Roy parle d’abord d’événements de l’année 1996, puis revient en 1990/91. Et ce plusieurs fois. Toutefois, ce n’est pas l’habituel retour en arrière pour un développement thématique et non chronologique car l’auteur continue à discuter de faits politiques bruts.

Il demeure que l’auteur permet de dissiper une impression diffuse, mais pourtant tenace, surgit de la lecture d’autres écrits, celle d’une certaine dichotomie entre Taïwanais “de souche” (les benshengren, 本省人), plutôt partisans du Parti démocratique progressiste (PDP), et émigrés et descendants d’émigrés en provenance de Chine suite à la retraite du parti nationaliste (ou Guomindang, GMD) et de son régime à Taïwan (les waishengren, 外省人). De fait, le GMD est, depuis déjà quelques décennies, un parti profondément “taïwanisé”. Si son corps de doctrine et son histoire propre, l’amène, encore aujourd’hui, à défendre à demi mots une réunification, ou tout du moins une non-séparation, le parti a nettement évolué au cours des années 1980 et 1990, notamment lors de la présidence de Lee Deng-hui, lui-même un benshengren. Cette évolution, et les remous qu’elle a engendré au sein du parti, est bien mise en évidence par Denny Roy. De même, l’auteur explique également – et fort à propos – qu’au cours de cette période, les démons du factionnalisme ne sont pas les apanages du GMD. En effet, le PDP est, à ses débuts, la jonction de plusieurs courants pas toujours d’accord sur autre chose que la question de l’indépendance.

Par ailleurs, malgré les faiblesses présentées précédemment, Denny Roy présente un récit tout à fait satisfaisant de l’évolution politique de l’île au cours de la deuxième moitié du XXème siècle. C’est même là son principal atout. Idem, on notera que l’auteur, à rebours des récits indépendantistes, remet en perspective avec justesse l’éphémère “Etat démocratique de Taïwan” de l’année 1895. En effet, si le gouvernement local déclare son indépendance, ce n’est que pour mieux proclamer sa suzeraineté envers l’empire des Qing. Il n’est donc clairement pas ici question d’une volonté irrédentiste, mais plutôt de relier des liens récemment dénoués par le traité de Shimonoseki.

 

Conclusion :

 

Pour conclure, Denny Roy est donc un auteur qui connaît bien la matière qu’il a travaillé, jusque dans ses plus petits détails. Toutefois, on aurait pu apprécier des passages plus ou moins conséquents sur la sociologie et la géographie politique de l’île. Idem, en ce qui concerne la conduite de la politique selon les différentes échelles, du niveau national au plus local. En effet, outre l’appui de la force brute et de la répression policière par les services de Jiang Jing-guo, comment le GMD a-t-il fait pour développer, transmettre et faire accepter au public ses récits politiques ? Quels moyens – matériels et argumentatifs – ont été employés ? Les mêmes questionnements auraient également été bienvenus pour la période coloniale japonaise. Mais peut-être ai-je une vision maximaliste de l’histoire politique, tout autant comme histoire des combats politiques que comme histoire de la politique, de la façon dont cette dernière est faite par les différents acteurs.  


[1] Chaigne Ch., Paix C. et Zheng Ch. (éd.), Taïwan. Enquête sur une identité, 2000 et Lee H.-F., Histoire de Taïwan, 2004

[2] Manthorpe J., Forbidden nation. A history of Taiwan de Jonathan Manthorpe et Chou W.-Y., A new illustrated history of Taiwan 

[3] Return of the Dragon: Rising China and Regional Security, 2013 ; The North Korea Crisis and Regional Responses, 2015

[4] Plus connu en Occident sous le nom de Chiang Kaï-shek.

[5] Sung C., “Koo wants return to consensus”Taipei Times (30 avril 2000)

[6] Récemment, les maires GMD nouvellement élus dans des villes précédemment PDP ont signifié leurs reconnaissances et accords avec le “consensus de 1992”, espérant ainsi permettre de meilleures relations économiques avec la Chine et donc un développement de leurs localités. Cf., Hoe B., “KMT LIKELY TO PUSH FOR CITY-BASED EXCHANGES WITH CHINA BASED ON PRECEDENT SET BY KO”New Bloom mag (11 novembre 2018) ; Ou S.M., “Taichung mayor-elect eyes economy, ‘1992 consensus’ “Taipei Times (26 novembre 2018) et Chung L., “After Taiwan polls, Kaohsiung’s new mayor will lead charge on mainland-friendly policy”South China Morning Post (28 novembre 2018)

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