[Polémiques] A Stalingrad on crie Staline !

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Parce qu’il faut quand même bien rire un peu avec cette période

Lorsque l’on parle de Stalingrad, cela peut évoquer des choses différentes selon les personnes. Pour les Franciliens, cela sera la station de métro éponyme, pour les “provinciaux” une rue/boulevard/avenue Stalingrad [1]. Enfin, les cinéphiles se souviendront du film éponyme de Jean-Jacques Annaud, réalisé en 2001.

Mais durant quelques jours, dans la sphère relativement fermée des professeurs d’histoire-géographie [2], cela a fait référence à un exercice, une “tâche complexe” pour reprendre le jargon pédagogique – pédagogiste diront les mal intentionnés. La querelle désormais apaisée, je voudrais revenir sur certains commentaires autour de cette “affaire”.

 

De l’art de déterrer de savoureux cadavres :

 

Mais, tout d’abord, reprenons ensemble le début de la polémique avant d’aller plus loin. De fait, il y a quelques jours, un twitto enseignant [3], @romainHG, déterre un document proposé par le site internet de l’académie de Bordeaux [4]. Dans cette séquence pédagogique, destinée à des élèves de 3ème, l’enseignant à l’origine de l’exercice tend à vouloir mettre en scène les élèves en leur demandant d’écrire, successivement, un discours devant galvaniser les forces soviétiques puis un autre destiné aux soldats allemands. Le tout appuyé par des documents suggérant des connaissances aux élèves. Là où le bas a blessé était l’obligation faite aux élèves de reprendre les “éléments de langage” de la propagande de l’époque, et donc écrire un composer un discours ouvertement antisémite pour ce qui est de la partie allemande.

De nombreuses personnes se sont émues de cette idée. A tel point que le rectorat est intervenu. Il défend d’abord son contributeur, le recteur parlant d’un exercice “maladroit”. Mais devant la publicité accordée à travers les nombreux articles de presse dénonçant le procédé [5], l’institution fait volte-face et décidé de retirer l’exercice de son site. L’exemplaire en ma possession tend à démontrer qu’il n’est pas toutefois retiré des internets…

 

Relativiser un contenu polémique :

 

A cela plusieurs remarques. Tout d’abord sur la production du document. Outre une typographie qui peut lever quelques sourcils [6], en parlant de cela autour de moi, on m’a objecté que le créateur de l’exercice avait peu de temps pour produire la séquence, en lien avec la pagaille autour de la mise en place des nouveaux programmes suite à la réforme du collège. Cela serait plausible. A première vue. En effet, l’article du Huffington Post, précédemment cité, révèle que cette “tâche complexe” était présente sur le site académique depuis le 14 novembre 2014. Donc bien avant tous les atermoiements autour de cette réforme.

Par ailleurs, le fond peut, lui, appeler deux autres remarques. Tout d’abord, pour ce qui est de l’enseignement, loin de moi l’idée d’affirmer – ou même insinuer – que ce type d’exercices sont des laboratoires de fabrication de futurs petits nazis ou staliniens. J’ai trop de respect pour les enseignants et ai confiance en l’intelligence critique de nombre d’entre eux. Je sais très bien que la très grande majorité d’entre eux recontextualisera la période, ce qui évitera des épanchements haineux généralisés.

Malgré tout, il est possible de se poser la question suivante : est-il nécessaire de faire soi-même pour mieux comprendre ? Est-ce que l’adage populaire “C’est en forgeant qu’on devient forgeron” s’applique bien ici ? [7] Chercher à se glisser dans la peau d’un personnage historique n’est pas nécessairement un mal, cela peut aider à saisir les ressors émotionnels qui l’ont tiraillé à un instant précis. De jauger le tréfonds de l’âme. Mais 14-15 ans, âge moyen de l’élève de 3ème, est-ce un âge suffisant pour que lesdits adolescents prennent assez de recul et établissent un constat nuancé sur les personnages historiques en question ? De ma faible expérience de côtoiement d’adolescents français, je tends à plutôt penser que non, mais je ne doute pas de la maturité – intellectuelle et morale – précoce de certains.

 

Note sur quelques réactions :

 

Outre les réseaux sociaux, il y a, ça et là, des personnes qui ont tenu à s’exprimer sur le sujet. A cette heure, j’ai relevé une réaction du collectif Aggiornamento histoire-géographie et d’un blogueur enseignant, Pierrick Auger. Grand bien leur en face. Néanmoins, certains points de détail dans leurs argumentaires me gênent. En effet, l’Aggriornamento explique, par les plumes de Laurence de Cock et Charles Heimberg,

Mais certains contenus d’enseignement sont plus sensibles à manier que d’autres.

[…] En ce sens, proposer à un élève de se mettre dans la peau d’un agent de propagande nazi, et en l’aiguillant pour ce faire sur un extrait de Mein Kampf peut produire des effets désastreux qu’il n’est pas très utile je l’espère de développer ici.

Qu’imaginer des discussions de groupes ? « Ecris Youpin ! » conseillera un collégien à son camarade.

[…] Et qu’envisager du retour de l’élève à la maison ? « Aujourd’hui au collège on a écrit un texte antisémite pour rigoler »…

Loin de moi l’idée de vouloir mettre en évidence un exemple de “deux poids deux mesures” sur fond de “politiquement correct” [8], mais pourquoi ne lit-on pas une crainte similaire à propos des Allemands ? En effet, ne peut-on imaginer que, pour “faire plus vrai”, un(e) élève parsème son texte soviétique d’injures envers les Allemands ? A simple titre d’exemple, une phrase comme

“Allons, vaillants soldats de la Mère Patrie, repoussez ces sales Boches loin de notre bien aimée Stalingrad et poursuivez les jusqu’à Berlin !”

ne me semble pas, peu ou prou, impossible sous la plume d’un élève de cet âge. Certains seront même probablement plus inspirés que je ne l’ai été. Or, ici aussi il peut, je crois, y avoir discrimination. Bien entendu, ça ne saurait être plus grave que “youpin” (ou toute autre insulte antisémite), mais ce n’est franchement guère mieux. Ou alors il faut laisser ouverte la possibilité d’écrire ces mots, partant du principe que c’est du “langage d’époque”. Dans tous les cas, cela revient à condamner fermement une insulte envers une population particulière et de le faire plus mollement envers une autre. Le tout en se fondant sur des critères dont le lecteur n’est pas entretenu. Or, une des missions de l’Education Nationale n’est-elle pas d’œuvrer à ce “vivre ensemble”, passant par un respect de toutes les populations, quelle qu’elles soient ? Mais je ne saurais insinuer qu’il s’agisse là d’autre chose que d’un oubli malencontreux de la part du collectif Aggiornamento.

Enfin, en ce qui concerne l’autre texte, de Pierrick Auger, je ne saurais exprimer autre chose que ma désolation après lecture de cette phrase (je surligne).

Dernière remarque, tous les détracteurs pointent du doigt le fait de faire rédiger un discours nazi aux élèves, mais pas de faire rédiger un discours stalinien… Il me semble que dans l’optique « bien pensante », il faudrait rejeter les deux et non pas affirmer comme le fait Laurence de Cock : « enfin, bien sûr et surtout, que l’on se trouve dans ce cas face à une expression hallucinante d’un relativisme pernicieux mettant sur le même plan la criminalité de masse du national-socialisme et l’une des formes de résistance à cette criminalité. Or, ce qui peut se faire autour des confrontations politiques et sociales qui sont propres à toute société ne saurait s’étendre à ce qui oppose une criminalité, qui plus est de masse, à ses victimes ou opposants…«

Le stalinisme comme résistance au crime de masse, ce n’est pas sérieux !

Jeter l’incommensurable – et bien plus décisif dans la défaite nazie que son homologue américain [9] – courage des soldats soviétiques avec l’eau du bain du très répressif régime stalinien, c’est assez navrant. Cela revient à affirmer que tous les résistants – car oui on peut dire que ce sont des résistants devant leur opiniâtreté à faire face aux nazis (qualificatif qui ne regroupe pas non plus tous les soldats allemands) –  soviétiques étaient des staliniens fanatiques. Les travaux, entre autres, de Christopher Browning [10] ont démontré, pour le cas allemand, qu’un tel axiome était inopérant. Mais cela doit probablement faire partie de cette “bien-pensance” et ce politiquement correct…


[1] Pour l’exemple, mot clé “rue Stalingrad”, vestige d’un temps où la mairie a été communiste – ou tout du moins reconnaissante envers le valeureux combat des soldats soviétiques. (Dernière consultation le 12 août 2016)

[2] Attention n’oublions pas de mentionner la si dispensable “Education Morale et Civique” !

[3] Et animateur d’une très bonne chaîne Youtube dédiée aux interactions entre histoire et jeux vidéos. Sans oublier la page Facebook dédiée.

[4] Pour ceux qui voudraient voir ce fameux exercice, le voici.

[5] A titre d’exemples, le Huffington Post, BFMTV, Le Point, L’Obs, France Info et même la version française de Russia today (Dernières consultations le 25 juillet 2016)

[6] Comic Sans MS, sérieux…

[7] Argument développé dans une note de blog par Pierrick Auger, sur laquelle nous reviendrons.

[8] Nota bene : Par expérience personnelle, j’en viens à penser que toute personne utilisant l’expression “politiquement correct” a toutes les chances d’être un incommensurable crétin.

[9] Pour s’en convaincre on pourra consulter l’ensemble des données relatives aux pertes par pays durant le conflit. (Dernière consultation le 12 août 2016)

[10] Par exemple l’excellent Des Hommes ordinaires. Le 101ème bataillon de réserve de la police allemande et la Solution finale en Pologne

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