[Polémiques] Flâner avec Pokémon Go

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Attrapez-les tous ! Quitte à être irrespectueux ? © JoeTheFanFicWriter deviantart

Comme des millions de personnes en France et dans le monde, je dois confesser avoir été quelque peu happé par la vogue autour du jeu Pokémon Go. Outre les aspects vidéoludiques (gameplay, philosophie du jeu etc.) qui peuvent se discuter, je voudrais revenir pendant quelques lignes sur ce jeu. Non sur le plaisir de jeu qu’il peut procurer, mais plutôt en quoi il peut réinterroger la perception de chacun sur son environnement quotidien, notamment urbain, et le patrimoine historique – mais pas seulement – environnant.

 

Récit d’une “découverte” en milieu urbain [1] :

 

Pour introduire la discussion, je souhaiterais raconter une anecdote personnelle. De fait, profitant de mes derniers jours strasbourgeois, je suis allé rendre visite à un ami à Hoenheim, en périphérie de la moderne Argentoratum. Lui aussi joueur et récent expérimentateur de Pokémon Go, nous en avons discuté, soulignant les bons et mauvais points. Repartant, et du fait d’un problème de transport en commun, j’ai fait une partie du trajet à pied. Profitant de l’occassion forcée, j’ai joué. Un des buts du jeu est de trouver des “pokéstops”, lieux remarquables où l’on peut trouver des “pokéballs”, ces objets permettant d’attraper les fameux pokémons. Lors de ma marche, je vois sur mon écran la présence de deux “pokéstops” dans un parc adjacent. Je fais un détour. Le premier était un espace de jeux pour enfants et le second une stèle honorant les soldats des FFI du Bas-Rhin (ci-dessous). Or, je ne connaissais pas l’existence de cette stèle avant cette chasse aux pokémons. On pourrait donc en conclure que Pokémon Go m’a “fait découvrir” cette stèle, au sens où c’est par l’appât du gain vidéoludique que j’ai fait cette découverte personnelle. Poursuivant mon chemin, quelques dizaines minutes plus tard j’ai pu apercevoir un autre point d’arrêt autour de la stèle commémorant l’existence et la destruction la grande synagogue de la place des Halles par les nazis.

Stèle pour les FFI du Bas-Rhin à l’entrée du Parc du Tivoli au Wacken à Strasbourg © Niko67000 / Wikimedia Commons

 

Ne pas bêtement s’ébahir devant une nouveauté :

 

Comme pour chaque nouveauté, notamment technologique, les promoteurs – pour ne pas dire les thuriféraires – s’enflamment et trouvent à leur nouvelle idole de très nombreuses vertus. Pokémon Go ne saurait y faire exception, j’y reviendrai. Dans le même temps, les tenants d’une approche critique des choses méprisent cet objet de passion planétaire. Les premiers affirment que Pokémon Go améliore la sociabilité puisqu’il force les joueurs à sortir de leurs habitations [2]. Certains pensent déjà à des applications du jeu dans le cadre éducatif à travers des EPI [3]. Les seconds rétorqueront que tout cela est bien trop de considérations, que l’on attend des monts et merveilles d’une nouvelle et éphémère mode.

Après mon anecdote j’aurais tendance à abonder quelque peu dans le sens des premiers. En effet, cette obligation de sortie peut permettre une flânerie urbaine, flânerie qui peut amener à de belles découvertes. Mais que l’on ne se méprenne pas sur ce dernier point. En effet, la découverte, notamment historique, du patrimoine n’est clairement pas un des buts ou un prérequis du jeu. De fait, un joueur peut tout à fait monter en expérience et évoluer dans le jeu en se moquant éperdument de son environnement. Ceux qui lèveront le nez seront ceux qui ont déjà un certain intérêt – ou tout du moins curiosité – pour la découverte de leur espace urbain proche. La découverte de nouveaux lieux est un bonus pour esthète, ni plus ni moins. En somme, pour reprendre la harangue d’un article précédemment cité, Pokémon Go n’empêche pas l’intelligence, mais n’aide guère à la forger, tout du moins pas de façon aussi extraordinaire que certains peuvent le proclamer. Malgré ce qu’un psychologue veut nous faire croire [4].

 

Dérives possibles autour de Pokémon Go :

 

Outre les accidents déjà survenus, les potentielles dérives sont importantes. De fait, comme le met en lumière le communiqué dont s’est fendu le musée d’Auschwitz-Birkenau [5], lui aussi “pokéstop”, il existe des endroits qui souhaitent se prémunir contre la déferlante Pokémon Go. Devant l’antisémitisme latent d’une certaine frange de la population française et européenne, on voit bien les risques, certaines personnes pouvant profiter du prétexte de Pokémon Go pour accomplir un acte hautement irrespectueux dans des lieux si chargés d’une histoire lourde d’émotion. Cela pourrait presque devenir une sorte de “quenelle vidéoludique” en somme. Mais cela ne saurait être le seul fardeau des lieux de la mémoire génocidaire. On pourrait reprendre un argumentaire similaire dans d’autres lieux, non moins empreints de solennité que ces mémoriaux [6].

Pour conclure, de manière plus générale, que doit-on penser de cette confusion entre histoire et plaisir quelque peu trivial de l’appât d’un gain vidéo ludique ? Confusion qui, par l’action malveillante de certains, peut tourner au malsain. Chacun se fera juge, mais voilà mon avis. A travers cela, ne va-t-on pas vers un relatif parasitage de la fonction touristique de certains monuments/lieux par une foule de personnes se moquant éperdument dudit monument/lieu ? Au final, on pourrait arriver à des moments désagréables, un peu comme quand, au cinéma, le(la) voisin(e) de devant/derrière souhaite séduire son/sa prétendant(e) du soir et s’exclame/rit un peu trop fort alors que vous voulez paisiblement regarder le film.  Le tout avec le cache-sexe de la bonne conscience du “Non mais enfin ça fait sortir les gens et en plus ça peut leur faire découvrir leur environnement quand même !”. Peut-être suis-je emporté par une relative paranoïa. Cela dépendra beaucoup de la durabilité du jeu, s’il s’agit d’un best seller s’inscrivant dans la société ou d’une comète, aussi flamboyante, et rémunératrice pour le développeur, qu’éphémère. Certains prédisent déjà sa mort prochaine [7]. Voyons ce que réserve l’avenir…


[1] Il semble que l’intérêt principal du jeu réside en ville, la campagne étant assez dépourvue de “pokéstops”. Même en ville, pour l’instant seuls les grandes villes comme Strasbourg sont bien couvertes, leurs périphéries étant beaucoup plus désertiques.

[2] De Vanssay S., “Jouer à PokemonGo ne dispense pas d’être intelligent !”. En passant, c’est très très mal connaître la sociabilité vidéoludique. D’expérience personnelle, il m’est arrivé de discuter avec des inconnus sur un serveur de jeu en ligne suite à une partie intéressante. Idem, le cliché du joueur comme vampire suçant des mégaoctets de bande passante et des kilowatts d’électricité a donc décidement la vie dure..

[3] Tweet de @lvk_res, 26 juillet 2016 (Dernière consultation le 29 juillet 2016)

[4] Leroux Y., “Psychologie de Pokémon Gopsychologik.blogspot.fr (14 juillet 2016) (Dernière consultation le 29 juillet 2016)

[5] Luyssen J., ” “Pokémon Go” pas bienvenu à Auschwitz”, Libération 13 juillet 2016 (Dernière consultation le 29 juillet 2016)

[6] A ce titre il serait intéressant de connaître la stratégie qui a poussé le développeur, Niantic, a installé ses “pokéstops” dans ces lieux et non dans d’autres ? Réel intérêt patrimonial ou conjonction entre un lieu facilement identifiable et un plan – plus ou moins conscient – de mailler le territoire d’une ville de manière relativement homogène ?

[7] Manilève V., “Pourquoi la folie Pokémon va retomber”Slate (29 juillet 2016) (Dernière consultation le 29 juillet 2016)

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