[Compte-rendu] Jean Lévi, Confucius, 2003

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Portrait de Confucius (environ 550 - environ 480 avant notre ère). Gouache sur papier, vers 1770. Auteur inconnu. © Wikimedia Commons

Portrait de Confucius (environ 550 – environ 480 avant notre ère). Gouache sur papier, vers 1770. Auteur inconnu. © Wikimedia Commons

Dans le monde occidental, toute référence à la pensée de Confucius aura pour corollaire un imaginaire empreint de clichés. On y retrouvera l’idée d’un vieil homme pérorant des déclarations sentencieuses, pour ne pas dire pratiquement incompréhensibles tant le sens profond est caché derrière des phrases sèches. Récemment, de petits plaisantins ont reprit ce topos pour imaginer des saillies humoristiques – pas toujours de très bon goût diront certains – jouant sur l’opposition entre la réputation sentencieuse du Maître et des affirmations absolument prosaïques [1]. De manière plus savante, la sinologue Anne Cheng rappelait, dans ses cours au Collège de France en 2008-2009 [2], que Confucius était – et est toujours – la principale figure de la pensée orientale connue dans le monde occidental. De même, cette dernière expliquait dans un des podcasts de son enseignement, que certains savants non-sinologues l’interrogeaient parfois sur la paternité confucéenne réelle de telle ou telle phrase à visée moralisatrice.

Pour se défaire de ces clichés, l’ouvrage de Jean Lévi [3] se propose quant à lui de revenir aux sources des dits confucéens afin de remettre en perspective la parole du Maître et ainsi mettre en évidence la signification profonde de l’enseignement de Confucius.

 

L’auteur et le livre :

 

Jean Lévi est un orientaliste et un sinologue, directeur d’études au CNRS. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages ayant trait au taoïsme et aux croyances populaires chinoises, mais aussi le traducteur de nombreux classiques chinois.

Après un bref “Avant-propos” (p. 11-18), le corps de l’ouvrage se divise en trois parties : “Le monde de Confucius” (p. 19-89), “L’école de Confucius” (p. 90-236) et “La postérité de Confucius” (p. 237-309). Une liste des “Oeuvres attribuées à Confucius et principaux ouvrages du confucianisme ancien” (p. 311-314), une brève bibliographie (p. 315-318) et des “Tableaux chronologiques” présentant les différents faits importants de la vie de Confucius et de son époque, concluent l’ouvrage. Dans un premier temps, à défaut d’une biographie conventionnelle, Jean Lévi tend à vouloir remettre la pensée de Confucius dans son contexte historique et ainsi l’éclairer. Dans “L’école de Confucius”, l’auteur s’étend longuement sur de nombreux détails de la pensée confucéenne, mais aussi sur ce qui lui donne son unité. Enfin, dans “La postérité de Confucius”, il se concentre sur la réception des dits confucéens après la mort du maître, notamment à la fin des Royaumes Combattants, durant les dynasties Qin et Han, mais aussi son interprétation la plus contemporaine.

 

Critiques :

 

De fait, malgré l’illusion conférée par le titre, il est difficile de classer ce livre dans le genre biographique. Et ce notamment parce que, dès le premier chapitre, l’auteur se refuse à aborder, même à tâtons, l’existence réelle du sage chinois. De fait, après un interlude de biographie romancée, il affirme (p. 27) :

On pourrait continuer dans cette veine la biographie de Confucius, entremêlant faits de la vie intime et grands événements des chroniques. Elle ne serait pas plus fausse que toutes les biographies écrites jusqu’ici.

Puis (p. 28-29) :

Sans aller aussi loin, force est de reconnaître que la biographie du Maître est singulièrement vide. Elle se résume à deux bornes. Celle de sa naissance, en – 551, et celle de sa mort, en – 479. […] Toute tentative sérieuse d’écrire une biographie du plus grand Sage de la Chine est donc vouée à l’échec. [4]

De fait, je conviens tout à fait avec Jean Lévi que le texte confucéen peut parfois être touffu, sec [5] et donc que les dits du Maître sont difficilement transposables ou interprétables en termes biographiques. Néanmoins, je demeure convaincu que le but premier – mais assurément pas le seul ! – d’une biographie est d’essayer de retracer, au moins à grands traits, la vie d’un personnage donné. Surtout lorsque le dit personnage est, comme Confucius, historiquement attesté. Malgré la cristallisation postérieure de nombreuses légendes rendant la tâche ardue, l’ouvrage aurait gagné à essayer de démêler le vrai du faux, le probable du spécieux. De même, en dépit de ce parti pris, le lecteur aurait pu malgré tout s’attendre à l’exposé, même bref, de l’état des sources et des raisons conduisant l’auteur à affirmer que la biographie conventionnelle de Confucius est fausse. Mais tels n’ont pas été les choix de Jean Lévi. On ne peut que les regretter.

En corollaire à cela, le Confucius de Jean Lévi souffre d’un manque profond : une absence de présentation des sources. Je ne saurais dire si, dans l’esprit de l’auteur, l’ouvrage s’adressait à un public de connaisseurs des canons confucéens ou s’il a été pensé pour le “grand public”. Dans tous les cas, à part quelques vagues allusions dans le texte, il est difficile d’en apprendre plus sur la crédibilité – ou non ! – des sources. Dans le même ordre d’idées, en dépit de la présence d’une courte bibliographie en fin d’ouvrage, Jean Lévi ne fait jamais – ou peu s’en faut – référence à l’historiographie. Cela donne l’impression d’un bras le corps direct entre l’orientaliste et son objet d’étude [6], ce qui ne saurait être vu comme un défaut. Mais cela prive le lecteur de la richesse des discussions sur un sujet à la littérature – ancienne et moderne – abondante.

Par ailleurs, si le dernier chapitre, malgré sa relative brièveté par rapport du deuxième, aurait pu faire l’objet de développements intéressants sur la postérité de Confucius, cet objectif n’est qu’à moitié rempli. En effet, Jean Lévi glose longuement sur les différentes interprétations – et selon lui dénaturations – de la pensée du Maître dans les époques immédiatement postérieures, notamment à travers la figure de Mencius. Mais cette étude se fait profondément allusive après la dynastie Han. Certes, l’auteur met en évidence la récupération du confucianisme comme outil pour la mise en place d’un certain conformisme social, puis il démarre ses ellipses. Comme si, une fois ce processus enclenché plus rien n’aurait ou n’aurait pu être modifié. Or, quid des réutilisations du corpus confucéen, désormais canonique, comme moyen d’assise d’un pouvoir nouveau, par les différentes dynasties, notamment étrangères, qu’a connu la Chine à travers les siècles ? Idem, le lecteur n’est entretenu du néo-confucianisme, assimilation mais aussi critique confucéenne du bouddhisme [7], qu’au détour de quelques phrases à la page 295. Tout cela aurait mérité discussion, même si cela pouvait aboutir à des réfutations.

Malgré tout, en ce qui concerne le style littéraire, si le livre est parfois entrecoupé par des apartés écrits dans un flou analytico-romanesque, p. 19-27 et 153-155 notamment, la prose se lit de manière relativement aisée [8]. L’auteur explique assez clairement les points importants de la pensée confucéenne ainsi que l’importance de certains détails en apparence anodins.

 

Conclusion :

 

Au final, l’historien qui lira ce livre avec son esprit d’historien, fait de temporalité et de mutations d’un corps social par rapport à un sujet donné, sera quelque peu déçu par son manque d’ampleur historique. Malgré tout, il demeure qu’il s’agit là d’un ouvrage érudit, au moins pour ce qui est de la critique philosophique, et qui permettra de mieux appréhender la différence entre ce qui semble être la pensée de Confucius et ce que la tradition a cimenté comme canon confucéen, si loin des intentions du Maître selon Jean Lévi. De même, le cadre historique de l’époque de Confucius est efficacement rendu par petites touches successives au cours du chapitre sur “Le monde de Confucius”.
Pour conclure, nous sommes donc plutôt face à un ouvrage – imparfait – d’histoire de la philosophie que devant un livre proprement historique. Mais, rendons grâce à l’auteur, son Confucius a été publié dans des collections à visées spirituelles, Chemins d’éternité chez Pygmalion en 2002 et Spiritualités vivantes chez Albin Michel en 2003, plutôt qu’historiques.


[1] Un florilège sur le site Funnyjunk. Dernière consultation le 20 juillet 2016

[2] Cheng A., “Confucius revisité, textes anciens, nouveaux discours”. Annuaire du Collège de France 109 (2009), p. 771-790. Le résumé a également été publié sur le site du Collège. Dernières consultations le 20 juillet 2016

[3] Jean Lévi est un orientaliste français, né en 1948, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de la Chine et du monde chinois. Dernière consultation le 21 juillet 2016

[4] En passant, mon cœur d’ancien élève antiquisant saigne quand il voit que des savants utilisent encore le signe “-“, qui n’a aucun fondement ou intérêt intellctuel, pour caractériser tous les événements se déroulant avant le début de l’ère chrétienne.

[5] Mais en même temps assez riche de sens, un peu à la manière, toute proportion gardée, d’un auteur grec, quasiment contemporain, comme Thucydide.

[6] Si j’étais perfide, je pourrais même affirmer que Jean Lévi fait sciemment fi des débats précédents, une certaine façon d’affirmer “Tous mes prédécesseurs avaient tort, moi, je vais vous montrer la vérité”. Néanmoins, je ne possède aucune preuve de mes dires et ne saurais remettre en cause le travail d’un savant d’une manière aussi légère.

[7] Pour une présentation très succincte, cf. Wang F., “Le confucianisme et la Chine actuelle : l’héritage de Zhang Dainian (1909-2004)”, Histoire et Missions chrétiennes 2011, p. 69-87

[8] Même si, du fait du sujet à propension philosophique, il est parfois nécessaire d’être armé d’un vocabulaire conceptuel assez poussé.

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