[Polémiques] Controverse autour des missions du CVUH. Le syndrome du social-traître ?

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Be-CredibleComme je l’ai fait remarquer sur la page Facebook de ce blog, je connais et apprécie le principe qui a amené à la création du CVUH (Comité de Vigilance sur les Usages publics de l’Histoire) ainsi que, de façon générale, leur travail, même si j’ai déjà émis une petite série de critiques au moment de leur débat avec Guillaume Foutrier. En effet, en conclusion de ce billet ancien, j’expliquais alors que je prenais quelque peu mes distances avec le Comité.

Les légères outrances verbales de Guillaume Foutrier auront eu le mérite de faire parler, comme le prouve la longueur et le nombre des commentaires sur les différents articles du « dossier », ainsi que m’amener à clarifier certaines situations. De fait, si j’apprécie généralement le travail des membres du CVUH – avec qui j’ai eu l’honneur de travailler – et de l’Aggiornamento, j’en viens à penser que sur certains sujets, mes convictions sont en contradiction avec les leurs. La guerre picrocholine de Guillaume Foutrier aura, donc, au moins eu cet intérêt : mettre mes idées au clair sur ces questions et tracer mon propre chemin en dehors de ces associations.

J’ai eu beaucoup de plaisir à travailler avec eux sur la figure de Bernard Lugan et ses falsifications inadmissibles autour des événements du 17 octobre 1961. Toutefois, outre des querelles de personnes qui n’intéressent que les principaux protagonistes et sur lesquelles je ne m’appesantirai pas plus, désormais il va m’être impossible de collaborer avec eux, ce que je regrette un peu. Passé les conflits égotistes, ma rupture avec le CVUH tient surtout à des raisons de fond.

 

Naissance de la polémique :



La pomme de discorde provient du dernier article publié sur le site du Comité. Je reproduis ici la présentation que j’en avais fait sur la page Facebook du blog [1]

Connaître le CVUH, lire les articles du CVUH, généralement apprécier ce que ses membres écrivent, mais aussi parfois être en désaccord. En profond désaccord même.
Dernier exemple en date cet article très récent (publié pour la première fois dans le journal “L’Humanité” puis repris sur le site du CVUH) signé Michèle Riot-Sarcey (historienne et co-fondatrice du CVUH [goo.gl/ZjCVvK] et encore membre du Comité (?) et Kamel Chabane (professeur d’histoire-géographie).

Si la thématique d’un nécessaire apprentissage des débuts difficiles et de la lente construction, chaotique et cahotante, de la République est intéressante, une phrase ne lasse pas, au mieux, d’interroger, au pire de révolter :

“On a oublié que des représentants de la République, en donnant les pleins pouvoirs à Pétain, ont permis à la nation française de basculer dans l’antisémitisme officiel […].”

Dans un certain sens ce raccourci est plutôt abject pour les acteurs de cette époque. Il est quelque peu insinué que les députés octroyant les pleins pouvoirs à Pétain l’ont fait au nom d’une volonté de mettre en place cet antisémitisme officiel. Comme si les parlementaires de 1940 auraient dû avoir don de prescience et connaître les projets antisémites du futur régime de Vichy.
On ne fera pas injure aux auteurs en rappelant que certains parlementaires de juin-juillet 1940 étaient juifs (ce que prouve la déchéance des parlementaires juifs suite à la décision du 27 novembre 1941 [goo.gl/XzWZFs] ou encore le cas du sénateur Moïse Lévy, parlementaire qui a voté les pleins pouvoirs [goo.gl/GEZZ5N]). Donc on pourra supposer qu’un juif approuvant la mise en place d’un antisémitisme d’Etat ce serait plutôt cocasse…
De même, en juin-juillet 1940 Philippe Pétain est surtout auréolé de ses victoires militaires, à Verdun en 1916 ou contre Abd el-Krim dans la guerre du Rif entre 1925 et 1926. Pas encore voué – à juste titre – aux gémonies pour la politique collaborationniste avec les nazis et l’antisémitisme officiel du régime de Vichy donc. C’est cette figure du Pétain combattant et défenseur de la nation que les députés et sénateurs ont à l’esprit au moment de voter les pleins pouvoirs.
Enfin, il serait un peu court d’oublier (sciemment ?) les circonstances à très court terme qui ont amené la nomination de Pétain, à savoir l’invasion allemande de mai-juin 1940. La majorité des députés ont vu en Pétain l’homme qui pourrait limiter les prédations de l’ennemi allemand et ainsi protéger la nation. Cette volonté de protection sera même, après-guerre, un des ressorts de la théorie dite “du glaive et du bouclier” [goo.gl/0UOw2F].
A travers ces quelques lignes, nous aurons démontré, nous l’espérons, en quoi cette insinuation est particulièrement honteuse, surtout provenant de praticiens de la chose historique.

Pour conclure, les auteurs – et derrière eux le CVUH tout entier puisque le texte est publié sur leur site tel quel et sans note introductive ou conclusive se distanciant quelque peu (comme par exemple “les propos tenus sont de la seule responsabilité des auteurs”) – tomberaient-ils dans le travers politisant que le Comité dénonce à juste titre ? En quoi la publication de cet article sert-elle la mission que le CVUH s’est donné ? Chacun sera juge en son âme et conscience.

Ces jours derniers mes réseaux sociaux ont quelque peu bruissé de légères vaguelettes suite à mon indignation vis-à-vis des propos cautionnés par le CVUH. Certaines personnes m’ont soutenu, d’autres ont critiqué – et c’est leur droit le plus souverain – ma démarche. Cet article se veut en quelque sorte une réponse à ces interrogations.

 

“Allons, mais c’est un détail dans un texte beaucoup plus large et important !” :

 

Si je voulais être un méchant “troll” recherchant uniquement la polémique stérile, je pourrais aisément atteindre le point Godwin en expliquant qu’un certain Jean-Marie Le Pen a affirmé, il y a de cela plusieurs années, que les chambres à gaz n’étaient, elles aussi, qu’un “point de détail” dans un ensemble beaucoup plus large, ici l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale. Un fétu de paille dans une large meule de foin donc.

Plus sérieusement, je veux en venir au fait que certains détails sont importants et que, en ce qui concerne le CVUH, la phrase sus-mentionnée n’est pas un détail, mais attente directement aux raisons mêmes qui ont amené à l’instauration du CVUH. Aux racines même de l’engagement – salutaire – de ces historiens – tous de renom et de valeur – contre les falsifications historiques opérées par le politique ou les médias. Ne pas regarder la vérité en face serait faire preuve de complaisance, pour ne pas dire d’aveuglement.

Certes, le propos du texte de Riot-Sarcey et Chabane est bien plus large que cette simple phrase et il serait clairement idiot d’accuser l’ensemble de la prose pour ces quelques mots un peu maladroits. En somme, comme dit l’adage populaire, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. La critique de la République est un débat qui peut tout à fait se tenir. La censure ou la critique de cette proposition n’est pas du tout notre objet ici. De fait, outre la non-pertinence historique de cette phrase, là où le bas blesse est bien l’inscription de ce rappel historique – au mieux maladroit, au pire erroné – dans l’économie d’un texte qui se veut l’émanation de la pensée politique des auteurs sur le sujet. Utiliser des raccourcis historiques à des fins politiques n’a jamais été une idée très lumineuse et féconde pour la compréhension de la complexité du passé.

Ce mélange aigre entre histoire et politique n’est pas, bien entendu, une découverte pour Michèle-Riot Sarcey et Kamel Chabane. Et ma critique à leur encontre doit donc être plutôt entendue comme un rappel qui leur est adressé. Rappel sans animosité quelconque à leur égard ou envers le combat politique qu’il mène. La critique – légitime – de la construction de l’institution républicaine et des silences de cette dernière sur son passé méritait donc bien mieux. A mon sens, la phrase polémique apporte donc bien peu à l’argumentation, mais dessert grandement le texte.

Par ailleurs, on pourra m’expliquer qu’il s’agit là d’une ellipse, une phrase lapidaire qui essaye d’embrasser une réalité complexe en quelques mots choisis et qui donc ne peut être qu’imprécise. J’entends cette suggestion. Toutefois, je citerai ici la phrase lumineuse d’Alain Chatriot, dans son interview accordée pour le blog Devenir historien-ne  (en réponse à la question : Quelles sont, selon vous, les principales qualités requises pour devenir un bon historien ?) [2]

De la rigueur est aussi particulièrement nécessaire car le métier ne supporte pas les approximations

Lier vote des pleins pouvoirs à Pétain par les parlementaires de l’été 1940 et mise en place des lois antisémites était – avec une forte dose d’euphémisme – une approximation.

En outre, in fine, le fait le plus tragique n’est pas tant le poids des mots, que le contexte de leur écriture et de leur publication. En effet, un mélange si grossier entre histoire et politique serait presque pardonnable – quoique tout aussi critiquable – s’il se trouvait sous la plume d’un étudiant en première année de licence d’histoire ou un journaliste, dans tous les cas praticiens débutants de la discipline historique. Or, ici nous avons affaire à l’expertise politico-historique d’une professeur des universités et d’un enseignant du secondaire. Des personnes qui ne peuvent pas ne pas être au fait du caractère néfaste de ce mélange des genres. Surtout Michèle Riot-Sarcey puisqu’elle a fait partie de l’équipe de fondation du CVUH (preuve dans le texte paru sur Facebook et cité précédemment) [3]. Par conséquent, une telle méprise est absolument impardonnable eu égard au pedigree et à la formation disciplinaire des auteurs.

Le second problème de forme concerne le lieu de (re)publication de l’article en question. En effet, après une première parution dans les colonnes du journal L’Humanité à la fin du mois de janvier dernier, la tribune est mise en ligne sur le site même du CVUH. A travers ma propre expérience de collaboration avec les personnes du Comité, je sais qu’un comité de lecture avant publication existe. Il est donc irréfutable que ces relecteurs – dans mon cas j’avais eu l’aval de trois personnes différentes – ont donné leurs accords pour la publication du texte sur le site. Ou alors il devient nécessaire d’envisager une dérogation à cette procédure de relecture critique pour des auteurs qui ont la confiance du Comité. Mais, j’entre dès lors dans l’ordre des conjectures. Il demeure que par la publication sur son site, le CVUH, et ses membres, apporte sa caution, au moins morale, au texte. Surtout qu’aucun message ne vient se distancier et faire porter l’entière responsabilité de leurs propos aux auteurs.

Le manquement aux principes d’existence même du CVUH est donc incontestable.

 

“Mais tu tires sur ceux qui pourraient être tes alliés et avec qui tu luttes dans la même optique !” :

 

L’histoire est-elle donc un combat de social-traître ? [4] L’auteur de ce blog est-il un social-traître ? Suite à certaines réactions après notre publication sur Facebook, j’en viens presque à le penser. En effet, cette critique touche un point intéressant et un peu le nœud du problème. De fait, il pourrait être curieux d’entamer une polémique avec des personnes avec qui je partage de nombreux points de convergence et surtout dont l’initiative a permise – dans mes plus jeunes années – l’éveil de notre sensibilité quant au domaine des manipulations du passé par et pour le présent et autres forfaitures intellectuelles engageant plutôt la politique que l’histoire [5].

On pourrait penser que dans un souci de lutte commune contre les falsificateurs historiques, il serait avisé de mettre nos divergences en sourdine pour mieux travailler ensemble.

Toutefois, cela nous a semblé nécessaire, notamment pour mettre en évidence le mélange des genres dans lequel le texte de Riot-Sarcey et Chabane se complaît et ainsi montrer la contradiction entre ce texte malencontreux et les propres engagements passés du CVUH. Il m’est d’avis que, même dans une période où les usages publics et politiques du passé s’accumulent, on ne saurait transiger sur les principes qui régissent cette “vigilance” : dénoncer tout le monde tout en demeurant historiens et donc en remettant en perspective les complexités du passé. Ou, pour parler comme le CVUH du manifeste de juin 2005,

[M]ettre à la disposition de tous les connaissances et les questionnements susceptibles de favoriser une meilleure compréhension de l’histoire, de manière à nourrir l’esprit critique des citoyens, tout en leur fournissant des éléments qui leur permettront d’enrichir leur propre jugement politique […].

Je tends donc vers une vision radicalement globale du problème qui se pose à nous [6]. Certes, peut-être est-ce un entendement trop dogmatique ou utopique de la situation. Toutefois, si je commence à transiger et à accepter des usages politiques de l’histoire, non sur la base d’une réfutation intellectuelle, mais sur le seul fait que ce soit des membres du CVUH, Comité qui est sensé tiré dans le même sens que ce blog, et qu’il y aurait des combats plus importants à mener, alors je perds toute cohérence et crédibilité. De plus, comme l’explique une nouvelle fois Alain Chatriot, le métier déteste les imprécisions et les malhonnêtetés [7].

 

Conclusion :

 

Je ne fais pas tout cela de gaieté de cœur, pas pour “se payer” les membres du CVUH. J’ai trop de respect pour la carrière universitaire de nombre d’entre eux pour cela, surtout que nombre des membres – actuels ou passés – sont et seront toujours de meilleurs historiens que je ne le serai jamais. Mon ambition est seulement de ramener un vieux maître sur le chemin de sa sagesse passée. Car je suis persuadé que le Comité peut et sait mieux faire. Malgré l’audience limitée de ce blog, j’espère que le message fera réfléchir les protagonistes. Comme François Mitterrand qui croyait aux “forces de l’esprit”, je crois en l’intelligence des membres du CVUH !


[1] Peu avant la parution de ce billet, j’ai été prévenu de l’éventualité d’une réponse des intéressés, notamment madame Riot-Sarcey. Soit. Ma page Facebook lui est ouverte. De même que les colonnes de ce blog ou mon adresse email.

[2] E. Ruiz, “Quelques questions à Alain Chatriot”, Devenir historien-ne, 18 novembre 2013 (Dernière consultation le 15 février 2015)

[3] Toutefois, la question de son actuelle appartenance au Comité se pose toujours. En effet, elle n’apparaît pas dans la liste des membres présente sur le site du CVUH, mais cette dernière ne semble pas tout à fait à jour. J’en veux pour preuve que la publication des compte-rendus d’Assemblée générale s’est interrompue après 2013.

[4] En référence à la stratégie du Parti Communiste Allemand [KPD] qui, sur ordre du Komintern, continuait à déchaîner ses critiques les plus virulentes contre les sociaux-démocrates du SPD, vus comme des “sociaux-traîtres” ayant abandonné la classe ouvrière, et ce dans un contexte du montée du nationalisme puis du nazisme en Allemagne au cours d’une période entre la fin des années 1920 et le début des années 1930. Tout rapprochement avec la situation présente est hors de propos. Tout ici n’est qu’affaire de rhétorique un peu polémique.

[5] Pour s’en rendre compte on pourra par exemple comparer – même si leur texte est infiniment mieux écrit que le nôtre… – le manifeste du Comité publié en 2005 et mon “A propos”. (Dernière consultation le 15 février 2015)

[6] Les plus critiques penseront ou diront “trotskyste” ou “sectaire”…

[7] Ce qui ne revient pas à dire que l’ensemble de mes articles sont, théoriquement, exempts de cela. J’ai à chaque fois tenté de mettre en conformité mes écrits et mon cadre théorique, mais cela n’exclut pas les bêtises ou les phrases un peu tendancieuses. Je suis humain, je peut aussi faire des erreurs. Loin de moi l’idée de me parer de l’armure du chevalier blanc.

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