[HistoireEnCité] Parler de mémoire avec Eric Zemmour

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Exemples de certaines réactions des partisans d'Eric Zemmour suite à sa "fin de collaboration" avec Itélé

Exemples de certaines réactions des partisans d’Eric Zemmour suite à sa “fin de collaboration” avec Itélé

Il y a plusieurs semaines, je m’étais déjà intéressé aux élucubrations historiques, plus ou moins infondées, du polémiste à propos des “invasions barbares” des peuples germaniques. Cette fois-ci je ne reprendrai pas le bâton de pèlerin pour mettre en exergue les faiblesses historiques du discours zemmourien. 

De même, je ne m’étendrai pas sur l’éviction récente d’Eric Zemmour de l’antenne d’Itélé, suite à la fin de l’émission Ca se dispute [1]. Enfin si, mais d’une manière détournée. Loin de nous l’idée de commenter le bien fondé ou non de la décision, qui n’incombe qu’à la direction de la chaîne. Idem que ce soit pour le fond des idées d’Eric Zemmour ou pour les réactions de certains historico-politiciens, qui se sont laissés aller à quelques comparaisons relativement scandaleuses, pour ne pas dire stupides et hors de propos.

 

Le fantôme du passé :

 

De fait, ce qui nous intéresse dans ce moment médiatique est l’importance de l’impensé mémoriel qui travaille encore la société française, et ce plusieurs décennies après les faits concernés. Pour bien comprendre cela, il est nécessaire de résumer la polémique depuis ses débuts jusqu’à sa fin, il y a quelques jours.

La séquence débute par une interview d’Eric Zemmour dans le journal italien Il Corriere della Serra [2] en date du 30 octobre 2014. A sa parution, celle-ci ne fait pas de vagues ni ne suscite de commentaires, que ce soit de ce côté des Alpes ou de l’autre. Et ce jusqu’au 15 décembre 2014, date à laquelle Jean-Luc Mélenchon, leader du Parti de gauche, discute l’interview dans un billet de son blog personnel [3]. Dès lors, les réactions, tant citoyennes que politiques [4], sont allées bon train, condamnant unanimement l’usage du terme de “déportation”. Et ce jusqu’à l’éviction du polémiste-idéologue le 19 décembre 2014, malgré le démenti du journaliste italien Stefan Montefiori [5] – l’auteur de ladite interview – à propos de l’utilisation du terme précis de “déportation” par l’auteur du Suicide français. 

Les esprits un peu taquins et férus d’antiquité auront pensé aux épisodes de déportations de populations dans les empires néo-assyrien et perse, signalés chez Hérodote ou Diodore de Sicile [6]. De même, on pourrait penser aux déportations des Arméniens par les Turcs Ottomans au début du XXème siècle [7]. Malgré cela, il est bien entendu que la référence la plus évidente concerne la période de la Deuxième Guerre mondiale et la déportation et extermination de plusieurs millions de Juifs, Tziganes et autres opposants politiques au régime nazi. Il est donc intéressant de noter que, plus de soixante-dix ans après les faits, la simple évocation du terme de “déportation” suscite un tollé, renvoyant à l’imaginaire de la Shoah et de la barbarie nazie. Et ce surtout de manière plutôt unanime dans l’ensemble de la société. Il ne faut pas voir dans nos propos une quelconque pointe de regret ou un appel à dépasser cet impensé. Il s’agit uniquement d’un constat, sans rancœur particulière.

 

Une mémoire encore chaude :

 

Par conséquent, à l’instar du fait que, comme l’a démontré la polémique autour du jeu vidéo Assassin’s Creed Unity, la mémoire de la Révolution est encore une mémoire chaude, à la vue des réactions épidermiques et scandalisées que l’usage – potentiel, mais in fine faux – du terme de “déportation” a provoqué, celle de la Deuxième Guerre mondiale et la période du régime de Vichy est absolument bouillante ! Nous ne ferons donc pas assaut d’originalité en affirmant que la Deuxième Guerre mondiale et son lot d’atrocités est toujours un “passé qui ne passe pas” [8]. De même, nous pourrons également constater, là aussi sans singularité particulière, que la mémoire des peuples est donc bien une donnée qui met beaucoup de temps à se décanter. Surtout qu’encore aujourd’hui de très nombreuses personnes, souvent au moins octogénaires, ont connu charnellement cette période, ou que le climat ambiant post-Deuxième Guerre mondiale a pu influencer très fortement les très nombreux enfants nés suite au conflit.

Enfin, par la transmission de cette mémoire, tant à travers les commémorations officielles que les documentaires ou autres films de fiction, et l’existence même de cette génération d’après-guerre, libre à chacun de s’interroger sur combien de temps encore la mémoire de la Deuxième Guerre mondiale, des atrocités nazies et de la déportation vont encore travailler la société française en son for intérieur.


[1] Piquard A., “i-Télé met fin à sa collaboration avec Eric Zemmour”Le Monde (19 décembre 2014) (Dernière consultation le 30 décembre 2014)

[2] Montefiori S., “Il successo di Zemmour, l’arrabbiato anti élite “La Francia si è suicidata”Corriere della serra (30 octobre 2014) (Dernière consultation le 30 décembre 2014)

[3] Mélenchon J.L., Zemmour se lâche en Italie : déporter cinq millions de musulmans ? Ça peut se voir !”Blog personnel de Jean-Luc Mélenchon (15 décembre 2014) (Dernière consultation le 30 décembre 2014)

[4] Zemmour et la déportation : l’indignation de la classe politique”Atlantico (17 décembre 2014) (Dernière consultation le 30 décembre 2014)

[5] Tremolet de Villers V., “Stefan Montefiori : le mot déportation n’a pas été prononcé durant l’interview de Zemmour”, Le Figaro (16 décembre 2014) (Dernière consultation le 30 décembre 2014)

[6] On trouvera les références dans J. Monerie, “Les communautés grecques en Babylonie (VIIème – IIIème s. av. J.C.)”, Pallas 89 (2012), p. 345-65

[7] Cf. par exemple R. Kévorkian, “Chronologie de l’extermination des Arméniens de l’Empire ottoman par le régime jeune-turc (1915-1916)”, Massviolence.org (Avril 2008) (Dernière consultation le 30 décembre 2014)

[8] Conan E. et Rousso R., Vichy, un passé qui ne passe pasParis, 1994

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