[Enseignement] #UnBonLivred’HistoirePourFinkie ? Ecouter Alain Finkielkraut au prisme des « historiens de garde »

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Alain Finkielkraut

Alain Finkielkraut

Je dois avouer que je n’ai pas une connaissance livresque du travail d’Alain Finkielkraut. C’est sûrement dommage. Surtout que j’ai entendu de bons échos de ses premières œuvres de jeunesse, notamment ses collaborations avec Pascal Brückner. Pour l’instant, mon entendement des écrits et de la pensée “finkielkrautienne” se limite à ses interventions télévisées ou radiophoniques, ses interviews dans la presse écrite ainsi que les opinions de journalistes ou blogueurs [1] à son sujet.

En ce sens les réseaux sociaux, essentiellement Facebook et Twitter, ont cela de merveilleux qu’ils permettent de se tenir au courant des dernières actualités historiques. Je ne pourrais donc jamais assez remercier tout ces contributeurs – volontaires et surtout involontaires – à l’avancée de mes connaissances sur certains sujets. Ils sont les pourvoyeurs quotidiens de savoirs ou d’opinions qui m’étaient jusque-là inconnus. Cela a été notamment le cas avec des éléments du débat houleux et passionné suite à la sortie du dernier livre d’Alain Finkielkraut, L’identité malheureuse. De même avec l’opération “Une BD pour Finkie” [2], le titre de ce billet étant d’ailleurs une forme de clin d’œil à cette opération.

Malgré toutes les informations glanées et mes réflexions personnelles, ce n’est clairement pas assez pour juger l’ensemble de la prose du philosophe – ce qui ne sera pas, de toute façon, mon ambition dans ces lignes – , mais il me semble qu’il s’agisse d’éléments relativement suffisants pour aborder ses dernières productions. En ce sens, il sera nécessaire d’analyser une de ces dernières réflexions historiques à travers le prisme de L’identité malheureuse et de son rapprochement, plus ou moins conscient, avec une certaine pensée réactionnaire. On pensera, comme le fait remarquer Jean Birnbaum [3] , à l’amitié personnelle, mais aussi et surtout intellectuelle entre Alain Finkielkraut et Renaud Camus.

De fait, au cours d’une de ces interventions radiophoniques, le 26 avril 2014, l’animateur de Répliques sur France Culture, s’interroge sur un sujet bien particulier : “L’histoire de France a-t-elle encore un sens ?”. Ce n’était pas, bien entendu, un monologue, mais un débat contradictoire avec, cette fois-ci, Patrick Boucheron, professeur d’histoire médiévale à Paris 1, et Pierre Nora, historien, directeur de l’œuvre collective Les lieux de mémoire en 1984 et, plus anciennement, directeur de la revue scientifique Le Débat depuis 1980.

 

Du “sens de l’histoire”, approche théorique :

 

Avant même de commencer l’écoute de l’émission et des différentes interventions, une question, bien plus large que le strict cas français, émerge : qu’entend Alain Finkielkraut par “sens de l’histoire” ? Je regrette que Pierre Nora et Patrick Boucheron n’aient pas réellement remis en question l’expression de “sens de l’histoire”. La question de l’éventualité d’un possible “sens de l’histoire” est un thème épistémologique important et sérieux. Il mérite que l’on s’y attarde, même pour le nier. Pour la présentation des différentes théories en présence, je renvoie à cet article de la revue Sciences Humaines [4].

De fait, sur un plan théorique et épistémologique cette notion de “sens de l’histoire” appelle deux commentaires. Si cela signifie que l’histoire serait en quelque sorte commandée par un principe fondateur qui expliquerait tout – à la volée on pensera au Progrès, l’avènement de la “dictature du prolétariat” ou de l’installation de démocratie libérale occidentale avec le concept de “fin de l’histoire” – , la discussion dérive très vite en philosophie de l’histoire plus qu’en approche historique des événements et structures sociales passés. De même, l’histoire n’a pas, je crois, de sens, si l’on entend ce mot par signification ou intention signifiante. A moins que l’on doive entendre cette éventuelle intention signifiante comme l’expression des possibles buts civiques de Clio. Je comprends très bien l’envie de faire jouer à l’histoire une partition citoyenne, mais, je le répète, les risques de manipulation sont bien trop grands pour que cela puisse être scientifiquement envisageable. Les dangers sont si grands que je préfère que l’histoire ne “serve à rien”.

En ce qui concerne Alain Finkielkraut, nous verrons plus loin qu’il est plutôt sur cette ligne de pensée, celle de l’intention signifiante à tendance civique. In fine, l’existence même de cette version un peu biaisée du questionnement historique dans le titre même du numéro de Répliques, tend à démontrer que, comme le dit l’adage populaire, “le ver était déjà dans la pomme” et ce dès la conception de l’émission.

 

Pierre Nora, du bon au moins bon :

 

Avant d’enchaîner sur le cas d’Alain Finkielkraut, je me permets de faire, en guise de préambule à la pensée du philosophe, un petit excursus sur Pierre Nora. Disons-le de suite, si j’avais quelques doutes personnels sur sa prose suite à la lecture de son introduction au numéro de mars/avril du Débat [5]ceux-ci se sont plutôt évanouis à l’écoute de ce numéro de Répliques. Sa prestation a été, il nous semble, dans l’ensemble plutôt bonne. Il permettait, en quelque sorte, de faire le pont entre Alain Finkielkraut et Patrick Boucheron. Malgré tout, deux citations viennent jeter un petit trouble dans mon esprit. De fait, l’historien explique [6] :

Ce roman national, je mets l’expression entre guillemets, que l’on peut attribuer à Lavisse de représenter et d’avoir organisé, il représentait plusieurs choses. D’une part une réconciliation de l’ancienne France et de la nouvelle, problème complètement dépassé. Il représentait une France rurale, complètement dépassée. […] Une France qui ne se posait aucuns problèmes, à l’époque, sérieux de populations extérieures et d’immigration, c’est complètement dépassé.

De même, plus loin [7], Pierre Nora présente à son auditoire le bréviaire plutôt classique de “l’histoire doit servir à fonder une nation et son enseignement doit refléter cela” :

L’histoire de France n’est plus du tout dépassée, elle-même, si Lavisse l’est, elle est même, je dirais, plus nécessaire que jamais, elle est indispensable ne serait ce que, justement, pour donner un sentiment collectif à la population.

Dernièrement un autre homme, un “historien de garde” celui-ci, s’est fendu d’un tel plaidoyer civique : Franck Ferrand.

 

Alain Finkielkraut et l’histoire : naissance d’un nouvel “historien de garde” ? :

 

Pour en revenir au cas finkielkrautien, quelques autres voix se sont élevées pour interroger le contenu de la pensée d’Alain Finkielkraut sur l’histoire, notamment pour ce qui est de l’émission du 26 avril 2014. Pour l’exemple on lira le billet de Jean-Paul Demoule sur son blog [8].

Dans l’ensemble, je rejoins ces interventions. Toutefois, outre l’aspect théorique évoqué plus haut, je voudrais rajouter un élément sous forme d’une question peut-être un peu provocatrice : Alain Finkielkraut serait-il en train de devenir un “historien de garde” ? Pour donner force à cette interrogation, il est possible de s’appuyer sur quelques citations du philosophe, notamment la suivante [9] :

L’histoire de France est-elle encore à l’ordre de jour de la recherche et de l’enseignement ? Pour le dire dans la langue charmante et désuète de notre “instituteur national”, l’histoire proposée aux Français raconte-t-elle encore les événements accomplis sur la terre de France depuis les temps les plus reculés jusqu’à ceux où on nous vivons.

On sent chez Alain Finkielkraut que ces interrogations sont plutôt rhétoriques. De plus, l’usage d’un vocabulaire volontairement nostalgique [10] pour parler de l’enseignement de l’histoire autrefois, renforce l’impression d’un accord du philosophe avec cette méthode pédagogique. Dans le même temps, l’ensemble de ses interventions dans l’émission ont pour but d’expliquer que l’histoire de France et son enseignement, depuis le secondaire jusqu’au supérieur, sont en danger et ce du fait, selon l’essayiste, d’une trop grande prise en compte des caractéristiques démographiques, notamment ethno-confessionnelles, de la France d’aujourd’hui. Cela aboutirait donc, de son point de vue, à une réécriture de l’histoire selon un “endoctrinement diversitaire” [11].

Par ailleurs, il serait possible de rapprocher sa crainte d’une certaine “perte” de l’histoire de France, de ses héros et grands hommes, à la même inquiétude qui tiraille viscéralement Dimitri Casali – déclaré, lui aussi, comme “historien de garde” par le livre collectif éponyme – et de tous les détracteurs de l’introduction d’enseignements sur le Monomotapa ou la Chine des Han, respectivement en classes de 5ème et 6ème, réunis au sein du collectif “Notre histoire forge notre avenir”.

En effet, dans une longue tirade [12], seulement quelque fois entrecoupée de voix discordantes, Alain Finkielkraut argumente dans le sens du caractère dramatique de l’enseignement des fondements de l’Islam et du monde musulman en classe de 5ème :

“On fait la morale à la place de faire de l’histoire, mais vous avez dit Patrick Boucheron, que l’histoire enseignée est quand même essentiellement l’histoire de France. Non, ce n’est pas tout à fait vrai, j’ai sous les yeux un manuel d’histoire-géographie de 5ème, il s’ouvre sur les fondements de l’Islam, pages 8 à 29, et ce qui est dit de l’Islam, disons, est fait, visiblement, pour ne blesser personne.

“Les califes créent de grandes bibliothèques dans les villes, où ils rassemblent des livres de Grèce ancienne, de Perse ou d’Inde. Au contact de la science grecque, les savants font progresser les mathématiques, l’astronomie, la médecine et la géographie. Les poètes écrivent des poèmes d’amour, des fables et des contes comme ceux des “Mille et Une nuits”.”

[Coupure de Patrick Boucheron, “Oui bien c’est pas faux”]

[Reprise d’Alain Finkielkraut] “Sauf que quand il est question du fanatisme, de la conquête ou de l’impérialisme et bien c’est de l’Eglise que l’on parle et il y a dans les chapitres qui suivent, et bien un petit encadré sur un interrogatoire de l’Inquisition. Il me semble qu’aujourd’hui on enseigne l’histoire en fonction de plus en plus de la composition ethnique de la France contemporaine.”

Toutefois, malgré tout cela, je n’ai pas personnellement l’impression que l’ensemble de la prose ou la pensée d’Alain Finkielkraut soit investies par l’ensemble du formol historico-politique caractéristique des “historiens de garde”. Certes, on y retrouve bien évidemment la nostalgie pour un passé révolu et vu comme glorieux car ponctué de défis différents de ceux de notre société actuelle. Néanmoins, il ne me semble pas que toute cette prose soit mue par un projet politique, comme peut l’être celle de Lorant Deutsch ou de plusieurs autres “historiens de garde”. Même si le philosophe est un proche de Renaud Camus – on retrouve, d’ailleurs, dans la citation ci-dessus les théories camusiennes ou de celles de certains de ses disciples [13] , notamment l’idée selon laquelle le Grand Remplacement serait précédé et en quelque sorte facilité par la Grande Déculturation – aussi nommé, de façon plus restrictive, Grand Effacement – [14] , c’est-à-dire l’effacement d’une fierté nationale, chrétienne et européenne à travers, entre autres, un enseignement subverti de l’histoire – , leur accord semble plutôt intellectuel que politique. Même si son témoignage doit être pris avec précaution, c’est en tout cas ce qu’affirme le théoricien de la Grande Déculturation dans un entretien accordé à Boulevard Voltaire [15].  

J’aurais donc tendance à penser que non, Alain Finkielkraut n’est pas un “historien de garde”, mais il en affectionne certaines manières de penser, le déclinisme autour de la perte du sens civique dans l’enseignement de l’histoire et, plus généralement, comme l’affirme Pierre Nora, sur le “naufrage d’une culture et d’une civilisation dans lesquelles l’auteur et moi avons grandi”.

Cet avis n’est que l’état d’un ressenti personnel, forgé par la lecture et l’écoute de plusieurs discours finkielkrautiens, et ne saurait donc être une plongée profonde et totalisante dans le rapport entre Alain Finkielkraut et l’histoire. Cela mériterait une étude plus poussée. Avis aux amateurs…


[1] Gaveriaux L.M., “Alain Finkielkraut, vous êtes tout sauf un philosophe : vous gangrenez le débat public”Le Plus du Nouvel Obs (30 octobre 2013). Idem, “Ma vie avec Finkielkraut”Blog de Laura-Maï Gaveriaux (7 novembre 2013) (Dernières consultations le 14 juin 2014)

[2] “#uneBDpourFinkie, liste de lectures pour Alain Finkielkraut”Le Monde (23 mai 2014). Et #UneBDpourFinkie sur Twitter. (Dernières consultations le 14 juin 2014)

[3] Birnbaum J., “Alain Finkielkraut joue avec le feu”Le Monde des Livres (23 octobre 2013) (Dernière consultation le 14 juin 2014)

[4] Mottot F., “L’histoire a-t-elle encore un sens ?”Sciences Humaines (28 février 2008) (Dernière consultation le 14 juin 2014)

[5] Nora P., “Malheureuse, oui, mais pourquoi ?”Le Débat 179 (2014-2) (Dernière consultation le 14 juin 2014)

[6] Entre 3 minutes 50 secondes et 4 minutes 30 secondes.

[7] Entre 6 minutes 40 secondes et 7 minutes 10 secondes.

[8] Demoule J.P., “Histoire et archéologie : les manipulations continuent”Blog de Jean-Paul Demoule (6 mai 2014) (Dernière consultation le 14 juin 2014)

[9] A partir d’environ 2 minutes et 30 secondes.

[10] Vers 11 minutes.

[11] A partir d’environ 22 minutes.

[12] Outre la citation ci-dessus, on trouvera d’autres exemples dans la délectation intellectuelle d’Alain Finkielkraut devant la forme et, dans une certaine mesure, le fond du manuel d’Ernest Lavisse.

[13] Joris K., “Histoire à l’école, le Grand Remplacement s’accélère !”Boulevard Voltaire (6 septembre 2013) (Dernière consultation le 14 juin 2014)

[14] Camus R., “Révoltez-vous, nom de Dieu !”Boulevard Voltaire (10 septembre 2013) (Dernière consultation le 14 juin 2014)

[15“Renaud Camus : Alain Finkielkraut fait peur au parti remplaciste au pouvoir”Boulevard Voltaire (30 octobre 2013) (Dernière consultation le 14 juin 2014)

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