[France] De la nécessité de défendre LES résistances

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Affiche de la série "inspirée de faits réels" "Résistance", actuellement diffusée sur TF1.

Affiche de la série “inspirée de faits réels” “Résistance”, actuellement diffusée sur TF1.

On connaissait depuis longtemps l’envie de différents groupes, plus ou moins politiques et de droite comme de gauche, de se servir des épisodes de résistances à l’occupant nazi pour servir leurs causes actuelles en ne mettant en avant uniquement les groupes résistants se rapprochant le plus de leurs opinions. Sur ce blog, j’ai même déjà épinglé des exemples de ce phénomène.

 

De l’art, bien partagé sur tous les bancs de l’hémicycle, de déshistoriciser les personnages symboliques :

 

Dans le même temps, il a été possible d’observer ces derniers mois une fâcheuse tendance à dépolitiser certains personnages historiques. Si cela peut les rendre plus “acceptables” dans certains contextes, il demeure que cela détruit un pan entier de la personnalité de l’individu en question. A tel point que parfois il n’est plus réellement possible de comprendre les choix et pensées du protagoniste dans toute leur complexité.

On pourrait, par exemple, envisager sous cet angle la récente, février 2014, nomination au Panthéon de différents personnages, notamment par le fait que, lors de l’allocution présidentielle [1], l’appartenance politique des protagonistes a été effacée. Ils ont été essentialisé comme représentants de grandes valeurs ou thématiques, liberté, égalité, fraternité ou éducation.

 

Sur la nécessité de défendre la pluralité des résistances :

 

Ces dernières semaines, le téléspectateur que je suis a également pu assister à un phénomène intéressant. En effet, depuis le 19 mai dernier, TF1 diffuse une fiction “inspirée de faits réels”, Résistance. Outre le témoignage qui va suivre, les esprits affûtés auront remarqué la présence d’un singulier. Cela ne saurait être considéré comme anodin. En effet, ce singulier revient à interpréter que les hommes et les femmes qui sont entrés en résistance l’ont fait selon une grille intellectuelle, politique, idéologique identique. C’est comme si LA résistance était un fait unitaire. Cela doit beaucoup à ce qu’Henry Rousso a appelé le résistancialisme. De fait, ce dernier explique [2] que :

A la Libération, […] le général de Gaulle a posé les deux principales pierres de touche : l’évacuation de Vichy et la légitimation de la Résistance, image abstraite, vidée de sa multiplicité historique, dont il dépossède les résistants au profit de la nation “toute entière”.

Outre cette série, certains politiques reprennent cette antienne de LA résistance. Avec les commémorations du soixante-dixième anniversaire du débarquement en Normandie, le 6 juin 1944, la moisson a été, comme on pouvait s’y attendre, plutôt abondante. A la volée, je ne retiendrais que l’exemple de Nicolas Dupont-Aignan [3], notamment parce qu’on y peut y voir la survivance du résistancialisme gaullien, mais cette thématique d’une résistance unitaire est plutôt bien partagée par l’ensemble de la classe politique française.

Pour ce qui est des faits, certes, chaque individu avait en commun avec son camarade de combat de vouloir se battre pour lutter contre les nazis, mais tous n’avaient pas les mêmes raisons pour cela. Certains étaient des juifs persécutés par le nazisme, d’autres des communistes ou socialistes viscéralement “antifascistes” et d’autres encore patriotes avec le désir de rendre sa souveraineté et sa démocratie à la France. In fine, il devient nécessaire de cesser de sanctifier UNE résistance une et indivisible et de montrer la réalité des faits, c’est-à-dire DES résistances.

En guise de conclusion, je me permets de reproduire ici le texte plein d’intelligence et de vérité de Bernard Kirschen, fils d’André Kirschen [4], un des résistants mis en scène dans la série historique de TF1.

Dans l’émission « Au Field de la nuit » du 12 mai dernier, Michel Field recevait Dan Franck, le scénariste de la série « Résistance ». Diffusée du 19 mai au 2 juin sur TF1, cette mini-série « inspirée de faits réels » raconte le combat de jeunes gens contre l’occupation nazie.

Si ces jeunes se sont engagés, « ce n’est pas du tout pour des raisons idéologiques pour la plupart », croit savoir l’animateur.

« Oui, il n’y a pas de rapport direct au politique. Le politique arrivera un peu plus tard », acquiesce le scénariste.

C’est cette vision d’une résistance dépolitisée que l’on retrouve dans la série : elle serait un mouvement spontané de jeunes sans idéologie…

Les faits sont pourtant têtus. Parmi les personnages principaux mis en scène dans « Résistance », on trouve mon père, André Kirschen, avec, en personnages secondaires, son frère Bernard et ses parents Marie et Joseph.

Mon père étant aujourd’hui décédé, il m’appartient de dire le malaise qui aurait été le sien à la vision de cette série. Car l’engagement d’André Kirschen est directement issu de son militantisme communiste.

« Je m’engage parce que je suis politisé. Mon action est politique », réaffirmait-il à Gilles Perrault dans un livre-témoignage, « La Mort à 15 ans ».

André, son frère et leurs amis étaient de jeunes communistes. Ils se sont lancés dans la résistance au sein de l’OS (Organisation spéciale), structure communiste qui a engagé la lutte armée dès 1941. Aujourd’hui, il n’est visiblement pas de bon ton d’afficher l’appartenance à l’extrême gauche de ces militants. Mais nier cet idéal qui était le leur, c’est ne pas faire honneur à leur sacrifice.

Autre impair regrettable : la série naturalise la famille Kirschen, en insistant sur sa parfaite intégration. Si la famille Kirschen, juive et roumaine, était parfaitement intégrée et se vivait française, dans la France des années 30 on ne naturalisait pas si facilement des « métèques », pour reprendre l’appellation de l’époque.

Mon père ne sera naturalisé qu’en 1947 et il n’obtiendra jamais, malgré plusieurs demandes, que son frère Bernard, résistant avec lui et fusillé au Mont Valérien, soit considéré comme « mort pour la France ».

Pourquoi jouer ainsi avec la réalité historique ? Pourquoi rendre Français des résistants étrangers ? Et quand le « procès » des militants de l’OS (procès dit « de La Maison de la Chimie » en avril 1942) est porté à l’écran, quel dommage de ne pas dire que trois autres condamnés sont étrangers : deux Italiens et… un Allemand.

Ce n’est pas contre les Allemands en tant qu’Allemands que se battaient ces jeunes, mais contre les nazis, les fascistes et leurs complices français.

Encore un effort, TF1 ! Pour participer au nécessaire devoir de mémoire, encore faut-il renoncer à une représentation de l’histoire en forme d’image d’Epinal. Et montrer la résistance dans sa réalité, avec toutes ses couleurs politiques.


[1] “Hollande officialise l’entrée de quatre figures de la Résistance au Panthéon”BFMTV  (21 février 2014) (Dernière consultation le 7 juin 2014)

[2] H. Rousso, Le syndrome de Vichy. De 1944 à nos jours, Paris, 1990, p. 89

[3] Dupont-Aignan N., “6 juin 1944 : souvenons-nous”Blog personnel de Nicolas Dupont-Aignan (6 juin 2014) (Dernière consultation le 7 juin 2014)

[4] Kirschen B., “TF1 dépolitise la Résistance et réécrit l’histoire de mon père”Rue89 (3 juin 2014) (Dernière consultation le 7 juin 2014)

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