[Animaux] Vers une histoire des animaux ?

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Double-page d'une édition de 1793 de "L'histoire des animaux" d'Aristote

Double-page d’une édition de 1793 de “L’histoire des animaux” d’Aristote

Malgré le mythe, heureusement peu à peu déconstruit, de l’historien qui serait seul avec ses vieux grimoires en haut de sa “tour d’ivoire” et ne discutant qu’avec ses pairs par dédain pour le “Jacques Bonhomme”, l’historien est aussi – et surtout ! – un individu inscrit dans son temps. Il est même nourrit de ce dernier. Comme tout un chacun, ma réflexion personnelle s’enrichit de ma vie quotidienne. Dans quelques cas, il arrive que cela s’entrechoque avec mon “cortex cérébral historien” et produise des rencontres qui n’auraient peut-être jamais existé sans cela. Sur ce blog, cela est déjà arrivé. C’était autour du groupe taïwanais de musique metal Chthonic.

Cela vient de se reproduire aujourd’hui sur un sujet totalement différent du précédent. Il s’agit de l’histoire des animaux ou tout du moins du rapport entre Humain et Animal. En somme, la vision des Hommes sur les animaux. Cela pourrait s’étendre aux différentes classifications des animaux, sur bases religieuses ou non. On rejoindrait là un pan de l’histoire sociale de l’alimentation, notamment.

Cette idée m’est venue d’une rencontre entre Paul Ricoeur et des discussions personnelles avec mes proches. Je ne prétends absolument pas être révolutionnaire. Il s’agit d’un court état d’avancement de ma pensée personnelle et de mes découvertes.

De fait, dans “Vérité dans la connaissance de l’histoire”, Ricoeur explique [1] :

Que dit ici le christianisme ? A la différence de la sagesse grecque, il ne condamne pas Prométhée : la “faute de Prométhée”, pour les Grecs est d’avoir volé le feu, le feu des techniques et des arts, le feu de la connaissance et de la conscience ; la “faute d’Adam” n’est pas la faute de Prométhée ; sa désobéissance n’est pas d’être homme technique et savant, c’est d’avoir rompu, dans son aventure d’homme, le lien vital avec le divin : c’est pourquoi la première expression de cette faute, c’est le crime de Caïn, la faute contre le frère et non la faute contre l’amour et non la faute contre l’existence animale et sans histoire.

Je comprends de la dernière partie du passage de Ricoeur, peut-être à tort, que celui-ci tend à insinuer que l’animal n’aurait pas d’histoire. Si c’est cela, je suis en désaccord avec ce postulat plutôt anthropocentré d’une supériorité de l’Homme sur l’Animal. On repérera peut-être là une émanation de la pensée classique à l’époque sur la question, l’ouvrage ayant été écrit en 1955.

 

La consommation de viande, un construit social :

 

Par ailleurs, j’ai la chance – ou pas parfois – d’avoir dans mon entourage une personne végétarienne. Au cours de discussions personnelles, j’ai été amené à réinterroger ma position sur la question de la consommation de la viande. J’en suis notamment arrivé à la conclusion de la possibilité d’appréhender cette problématique autour de l’hypothèse d’un caractère plutôt “artificiel” – au sens d’un construit social qui se cache sous le vernis d’un bon sens “naturel” – dans la nécessité biologiquement vitale de l’ingestion de produits carnés, carné au sens large ce qui inclut le poisson. Toutefois, que je sois bien compris, l’idée d’un “construit social” ne remet pas en cause l’éventualité de chacun de de trouver du plaisir dans le fait de manger de la viande. L’argument n’est pas liberticide, il tend simplement à expliquer que la consommation de produits carnés n’est pas une obligation physiologico-biologique et que l’obligation – plus ou moins formalisée – faite à tout un chacun d’être ouvert sur la question est la résultante d’un processus social. Apprécier ou non cela est du ressort de la pensée citoyenne de chacun, pas de la mienne ici.

 

Brève historiographie de l’histoire des animaux :

 

En surfant sur quelques sites ou forums spécialisés sur la question, j’ai rapidement pu voir l’apparition d’arguments historiques, et ce que ce soit du côté des détracteurs ou des défenseurs du régime alimentaire végétarien et/ou de la défense des animaux. Pour les défenseurs, on enfile, par exemple, les cas de personnages historiques célèbres [2] qui étaient – ou sont du moins déclarés comme tels – végétariens. Plus généralement, le débat fait rage autour du régime alimentaire des hommes préhistoriques. Des exemples des arguments “pro” peuvent être trouvés ici, des “antis” . Même si ce ne sont pas les argumentaires les plus fréquents – les questions éthico-philosophique ou nutritionnelles tenant une large place dans les discussions – , cela est plutôt compréhensible, étant donné le prestige important de l’argument historique en France.

A partir de cela, et devant ma relative inculture sur le sujet, j’ai commencé à m’interroger sur l’existence d’études historiques scientifiques sur le sujet. En demandant autour de moi, on m’a signalé un livre d’Eric Baratay [3]. De même, on notera l’existence d’une conférence de William Blanc en novembre 2011 autour du thème

« De poils, de plumes et d’écailles. Les animaux à Paris au Moyen Age »

Enfin, la rapide interrogation d’un moteur de recherche a attiré mon attention sur l’ouvrage récent, janvier 2014, de Damien Baldin [4]. On pourra également s’appuyer sur le témoignage antique d’Aristote [5]. Il faudrait que je lise/écoute tout cela pour me faire des idées plus précises. Néanmoins, à ma faible connaissance je ne crois pas qu’une version “totale”, depuis l’Antiquité jusqu’à l’époque contemporaine, ait déjà été publiée.

 

Intérêt pour l’histoire animale, mais vigilance sur les récupérations possibles :

 

Toutefois, sans préjuger de l’intégrité des différents auteurs cités précédemment, l’un des problèmes qui pourrait piéger toute étude historique de ce phénomène serait de chercher dans l’histoire des réponses, ou tout du moins des arguments, pouvant être utilisés dans le cadre des débats en cours autour du végétarisme, du carnisme et plus généralement de la question de la condition animale, récemment mis en avant par la sortie du livre d’Aymeric Caron, No steak, ou le changement de statut de l’animal domestique dans le code civil. Pour un résumé des différents argumentaires végétaristes et “pro-animaux”, on pourra se référer aux explications de l’association L214 et aux actualités du site internet Vegactu.

Si le citoyen que je suis peut avoir des idées sur la nécessité supposée vitale de manger de la viande, il ne faudrait pas aller chercher dans le passé des éléments argumentaires, comme la consommation – selon certaines estimations – d’environ 1 kilo de viande par an et par personne par les Grecs ou l’existence des pratiques végétariennes du pythagorisme [6] et de l’orphisme [7], pour défendre le caractère antique, et donc nécessairement de bon sens, du végétarisme. Les pratiques végétariennes antiques ont des raisons qui sont propres à cette époque et aux milieux sociaux et mentaux d’émergence. Ce ne sont plus, par définition, les mêmes motifs que les adeptes du végétarisme contemporain. Dans un compte-rendu d’ouvrage [8] A. Delatte alertait déjà de ce problème. C’était en 1935. Il me semble nécessaire de se souvenir de ce conseil de sagesse. A l’instar des réinterprétations historiques frauduleuses de mouvances politiques “de droite” ou “de gauche”, il m’apparaît indispensable de bien rejeter d’égale manière une possible utilisation de l’histoire de chacun des camps, végétariens ou carnistes. C’est cela aussi faire preuve de vigilance sur les usages publics de l’histoire.


[1] Ricoeur P., Histoire et véritéParis, 1955, p. 98

[2] Raschle B., “Histoire du végétarisme”Vegetarismus.ch (dernière mise à jour le 11 janvier 2011) (Dernière consultation le 8 mai 2014)

[3] Baratay E., Et l’homme créa l’animal. Histoire d’une conditionParis, 2003. Et plus généralement l’ensemble de ses travaux.

[4] Baldin D.,  Histoire des animaux domestiques (XIXème – XXème siècle)Paris, 2014

[5] Aristote, Histoire des animaux. Texte original et traduction disponibles ici. (Dernière consultation le 8 mai 2014)

[6] Detienne M., “La cuisine de Pythagore”Archives de sociologie des religions 29 (1970), p. 141-162

[7] Jeanmaire H., “Louis Moulinier, Orphée et orphisme à l’époque classique”Revue de l’histoire des religions 151-1 (1957), p. 93-97

[8] Delatte A, “Haussleitner (Joh.), Der Vegetarismus in der AntikeRevue belge de philologie et d’histoire 14-4 (1935), p. 1430-1434

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