[Ego trip] Pourquoi je fais de l’histoire ? Brève tentative d’introspection historique

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“Narcisse” de Jan Cossiers (1600-1671). Huile sur toile de 97 x 93 cms. © Wikimedia Commons. L’idée de cet article sera donc de se regarder dans la rivière tout en évitant de tomber amoureux de son reflet

Avec une vision un peu présomptueuse de moi-même et de mes capacités, je pourrais appeler ce que je vais tenter dans ce billet une tentative d’ego-histoire. De fait, selon les mots de Pierre Assouline, l’ego-histoire pourrait se définir comme une forme d’écriture historique où il ne s’agit pas de

[…] donner des mémoires, des souvenirs, des confessions voire une auto-analyse sauvage, mais plutôt de se faire historiens d’eux-mêmes avec le même regard que s’il s’agissait d’un autre.

En introduction d’un livre qu’il éditait, Pierre Nora expliquait [1] que l’ego histoire n’était

Ni autobiographie faussement littéraire, ni confessions inutilement intimes, ni profession de foi abstraite, ni tentative de psychanalyse sauvage. L’exercice consiste à éclairer sa propre histoire comme on ferait l’histoire d’un autre, à essayer d’appliquer à soi-même, chacun dans son style et avec les méthodes qui lui sont chères, le regard froid, englobant, explicatif qu’on a si souvent porté sur d’autres

Dans la majorité des cas, les essais d’ego-histoire sont le fruit d’une carrière historienne bien remplie et l’expérience de nombreuses années de réflexion autour de la thématique du rapport entre soi et la discipline historique. C’est le cas des Essais d’ego-histoire édités par Pierre Nora en 1987 et réunissant de grands noms comme Georges Duby, Michelle Perrot, Maurice Agulhon ou encore Jacques Le Goff. De même, avec Le goût de l’archive d’Arlette Farge. Etant donné ma jeunesse, 25 ans, il est très clairement largement présomptueux de se lancer dans une aventure pareille. J’en suis bien conscient. Toutefois, malgré toutes les nuances qu’il faudrait apporter à ce projet, la stimulation intellectuelle induite par cela est si forte que je ne peux résister à l’appel. Par ailleurs, suite à la découverte de la série d’entretiens d’Emilien Ruiz avec des historien(ne)s, je suis obsédé par une des questions posées

Pourquoi êtes-vous devenu historien ?

Sans me comparer aux historien(ne)s interrogé(e)s, ce qui serait, quelque part, les insulter en m’établissant en égal d’eux alors que je suis encore très loin – intellectuellement et académiquement – de leur avancement, je vais donc essayer, moi aussi, de répondre à cette question. Dans le même temps, une autre interrogation connexe se fait jour : “Quel a été/est le rôle de l’histoire dans ma jeune vie ?”. Comme pour l’autre question, dans les lignes qui vont suivre je chercherais à donner des éléments d’explications, plutôt qu’une réponse en bonne et due forme.

 

“Il faudrait un peu moins compter sur ta mémoire”, Mme C., un jour de mon année de Terminale :

 

Le premier souvenir en rapport avec l’histoire que je possède, a trait à l’image d’un grand frère, désormais enseignant dans un établissement du centre de la France, lui aussi passionné par Clio. Il m’a transmis sa passion depuis tout petit. Je ne saurais mettre une date sur le début de cette passion, mais à ma rentrée en classe de sixième, aux environs de 11 ans donc, mon intérêt était déjà formé. Mes professeurs dans le secondaire, monsieur B. et madame C. notamment, m’ont conforté dans cela, même si mon “aisance” – toute relative – sur certains savoirs, notamment en histoire contemporaine, me rendait oisif et peu soigneux dans mes apprentissages. En outre, j’avais une conception historique embryonnaire et, pour le dire franchement, plutôt idiote quand j’y repense. Je me souviens regretter, vers mes 15/16 ans, le passage trop rapide – en terme d’heures consacrées – sur le déroulé factuel de la Première Guerre mondiale pour s’intéresser aux conditions matérielles des soldats. J’apprendrais plus tard que les travaux de l’historial de Péronne étaient passés par là et que, au final, c’était très bien ainsi.

 

La période universitaire, le moment de toutes les découvertes :

 

Après cette époque lycéenne, mon entrée à l’Université de Tours a marqué une nouvelle étape. Après un premier semestre de première année plutôt compliqué où j’ai eu du mal à prendre mes marques, le second fut beaucoup plus fécond, notamment grâce à un homme. Il s’agit de monsieur Pascal Brioist. Il a cherché à nous, mes camarades et moi, inculquer la méthodologie historienne avec pédagogie à travers la période qu’il connaît le mieux, la Renaissance. J’ai le souvenir, peut-être un peu fantasmé et reconstruit après les années, d’une certaine “chaleur” et joie personnelle dans cette salle de cours. En outre, je voudrais le remercier ici car, à travers un exposé, la découverte de Menocchio et surtout cette pénétration dans le plus profond – autant que faire se peut – de la psyché d’une personne m’ont beaucoup marqué. Je ne pense pas avoir été un élève parmi les meilleurs, mais c’était la première fois que je prenais un réel “plaisir intellectuel” à travailler autour d’une question historique et cela m’a donné envie de continuer.

A l’université, le deuxième moment important a été ma découverte de la numismatique antique. J’aimais cette idée de chercher – encore une fois – à “pénétrer dans l’esprit” des gens de l’époque pour mieux comprendre une part de leur civilisation, les symbolismes mentaux, sociaux et religieux notamment, à travers des petits objets de métal. J’aimais à tel point cela que j’ai décidé d’en faire le thème de mon Master recherche. Au cours de ce Master, j’ai aussi le souvenir d’une très grande stimulation intellectuelle, notamment grâce à mon directeur de recherche. Je voudrais, lui aussi, le remercier ici car, à l’époque, il m’a donné des conseils, notamment de méthodologie, que je ne comprends réellement que maintenant. De même, il m’a donné le goût d’un effort intense autour de son sujet ainsi que d’une haute exigence intellectuelle. A partir de cette expérience, j’ai désormais envie, moi aussi, de “mettre une pièce dans la machine” pour relancer des débats ou mettre en avant ce que, modestement, je comprends des sources afin de faire émerger un embryon de savoir historique.

 

Vouloir devenir “un historien dans la cité” :

 

Enfin, après cela j’ai connu une certaine période de flottement. Avec la fin de mon Master recherche, je perdais ma source de stimulation intellectuelle. C’est à peu près à ce moment là que j’ai créé mon premier blog, sans réellement d’idée précise, un jour un peu triste de février 2012. Peu après est venu la polémique autour du Métronome de Lorant Deutsch. Je me suis passionné pour cette forme de “militantisme historique”, dans le sens de l’historien – ou plutôt “l’étudiant historien” que j’étais à l’époque – qui cherche à avoir un rôle public. Concilier deux passions de ma jeune vie en somme, la chose publique et l’histoire. Cette idée ne m’a désormais plus quitté. Quand j’étais enfant et adolescent, j’étais un Lorant Deutsch ou un Franck Ferrand, maintenant j’essaye de m’imaginer – toutes proportions gardées et avec toute la part de fantasme que cela comporte – en Pierre Vidal-Naquet. Je veux être “un historien dans la cité”. Je suis bien conscient que je me trouve encore très loin de mon objectif. Y arriverais-je un jour ? Allez savoir…

 

Conclusion :

 

Il y a donc, pour l’instant, trois moments importants dans ma courte relation actuelle à l’histoire. Tout d’abord, une enfance bercée par l’image de ce frère légèrement aîné, désormais professeur certifié, qui s’intéressait aux grands récits historiques. Par la suite, la confrontation, même fragmentaire et imparfaite, avec le monde universitaire et surtout avec un travail de recherche a stimulé ma volonté de continuer dans cette voie. Enfin, la découverte de mon “devoir” d’historien : chercher à avertir mes contemporains des usages et mésusages, notamment politiques, qui peuvent être faits de l’Histoire, ainsi qu’oeuvrer, à ma petite échelle, à populariser le savoir historique et surtout la méthode historienne auprès du plus grand nombre.

Enfin, pour conclure, je voudrais revenir sur ce que m’a apporté l’étude de l’histoire dans ma vie d’homme et de citoyen. Comme dit précédemment, mes travaux universitaires m’ont amenés à apprendre un goût de l’effort intellectuel ainsi que le début de l’émergence embryonnaire d’un “Moi intellectuel”. Je peux penser des choses, les écrire et en être relativement satisfait. C’est toujours plaisant, au moins pour sa gouverne personnelle.

Par ailleurs, étant donné que, comme le dit Alain Chatriot, “le métier ne supporte pas les approximations”, mon parcours historique m’a inculqué l’exigence de la rigueur intellectuelle, mais aussi un esprit de nuance. Je ne sais pas si, au quotidien, j’arrive à appliquer ces enseignements, mais de ce fait, la pensée systémique me laisse quelque peu interrogateur. In fine, mon court parcours historique se résume à cela. Mon seul souhait pour la suite est, à minima, de pouvoir continuer mes efforts, et, au mieux, pouvoir, malgré un parcours atypique, aller plus haut. Je verrais bien ce que l’avenir me réserve… Pour l’instant, l’unique chose que je sais relativement bien est que, s’il y a eu une forte marge de progression depuis mon adolescence, je suis absolument certain que je ne suis encore qu’au début de mon parcours. Historiquement et intellectuellement parlant, ma marge de progression est encore infinie.


[1] Nora P., “Présentation”, dans Nora P. (dir), Essais d’ego histoire, Paris, 1987, p. 7.

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