[Epistémologie] Une histoire qui sert ?

N'oubliez pas de partager, ça aide le blog à avancer !

LaurentinIl y a plusieurs mois de cela, j’ai inauguré un petit sondage avec comme question “Quel devrait être, pour vous, le rôle de l’Histoire dans la société ?”. Ce dernier a reçu à ce jour, 11 février 2014, 60 réponses avec une immense majorité, 46, de suffrages pour “Apporter des éléments de réflexion pour aider la société”.

Si lors de la création de ce sondage, mon opinion d’alors allait plutôt dans ce sens, les semaines qui ont passées ont progressivement modifié ma réflexion théorique à ce sujet. Ce petit sondage va donc me permettre de coucher par écrit et clarifier ma pensée. Néanmoins, avant cela, un bref commentaire du dit sondage s’impose.

 

Un panel un peu biaisé ? :

 

En effet, il révèle probablement qu’une partie plutôt grande – je ne saurais la quantifier et dire si cela est représentatif puisque les réponses sont faites sur la base du volontariat – de mon lectorat accorde un rôle civique à l’histoire, au sens où la prise d’une distance critique est nécessaire pour une bonne réflexion et donc des choix éclairés du citoyen. En ce sens je suis d’accord avec eux. Toutefois, tout cela est-il le seul apanage de Clio ? Personnellement, je serais amené à penser que toutes les sciences humaines – toutes les sciences en général ? – apportent, à leur manière, cette obligation de prise de recul. 

Voilà qui m’amène à livrer ce que je pense du rôle de l’histoire. Je ne prétends absolument pas aboutir à une synthèse sur le sujet, surtout que mes lectures sur le thème du rôle social de l’histoire sont bien pauvres, même si le sujet me passionne. Ce ne sont que les réflexions sans prétentions d’un passionné qui a suivi des études universitaires sur le sujet.

 

Une réflexion théorique inaboutie :

 

Peu après son arrivée dans la bonne ville de Strasbourg en 1919, Lucien Febvre a expliqué, lors de sa leçon inaugurale dans l’université nouvellement française de Strasbourg, que

“L’histoire qui sert, c’est une histoire serve”.

Bien entendu, le contexte de prononciation de cette phrase était bien différent de maintenant et ma compréhension de ces mots est nécessairement différente de la sienne – écart d’époque et surtout de qualité intellectuelle à son profit. Toutefois, je me glisse dans ses pas parce que cette phrase résume bien l’état de ma pensée actuelle sur le sujet. En effet, il m’est d’avis que si l’histoire peut permettre de comprendre les raisons profondes d’une partie du fonctionnement de la société, elle n’est d’aucune aide vis-à-vis de l’avenir. De même, l’utilisation – pour ne pas dire l’instrumentalisation – citoyenne – et civique – conduit nécessairement, même avec la meilleure volonté et rigueur intellectuelle, à faire pencher la balance du côté que l’on veut.

J’en viens presque à penser que, d’une certaine manière, l’histoire ne sert à rien à la société actuelle. Attention je ne dis pas qu’elle est inutile, notamment parce qu’elle permet de se situer – son petit soi égotiste – dans le temps long des sociétés et de voir que certains débats contemporains ne sont que les ressacs de querelles passées. En outre, elle introduit un attrait pour les sources de première main, une interrogation critique sur le point de vue du locuteur ainsi qu’un autre rapport au temps, la réflexion ne se bonifiant, comme le bon vin, qu’à travers le temps. C’est cela qu’elle apporte, je le crois, au citoyen. C’est en tout cas ce que j’en retire jusqu’à présent.

Par ailleurs, le Jacques Bonhomme argumente souvent autour du thème de l’histoire et de l’historien comme activateur du nécessaire et impérieux “devoir de mémoire”. Même si c’est un thème très porteur, et légitime, civiquement ainsi qu’au sein de la classe politique, et ce jusqu’au plus haut sommet de l’Etat [1], j’ai du mal à me ranger à cette idée. A ce niveau, je serais plutôt du côté de Daniel Rivet. Ce dernier, à la page 401 de son livre Le Maghreb à l’épreuve de la colonisation, explique :

L’historien n’est aucunement un faiseur de morale, tenu d’astreindre ses compatriotes à un devoir de mémoire.

Personnellement, en tant que “mini-historien”, je ne me sens pas le devoir, ni même le droit, d’appeler le citoyen lambda à entrer en compassion autour d’un fait historique. En revanche, son refus peut devenir un sujet de réflexion, celle-ci pouvant entrer dans le champ plus large d’une idéologie quelconque. Même s’ils sont, pour beaucoup, historiens dans l’âme, et dans la formation de base, je n’incrimine pas les professeurs d’histoire-géographie du secondaire dans ce lot puisque ces derniers sont en “service commandé” et qu’en tant que “fonctionnaires éthiques et responsables”, ils appliquent les injonctions de la rue de Grenelle, c’est-à-dire l’Etat.

Toutefois, je ne renonce pas à l’idée que l’histoire est un “sport de combat” et que l’historien est un boxeur qui met des gants pour blesser moins fortement son adversaire et respecte un certain nombre de règles, et pas un adepte du muay thai ou du free fight – disciplines sportives où après tous les coups sont permis.

Certains esprits éclairés, et un peu taquins, pourraient déceler, avec bon droit, une relative contradiction dans mes propos. Je tiens à m’en expliquer quelque peu. L’idée principale de ma pensée est de “rendre coups pour coups” à ceux – d’où qu’ils viennent – qui utilisent l’histoire, et ce grâce aux dernières avancées de la recherche. Le combattant que j’essaye d’être n’est pas nécessairement créateur d’un contenu nouveau, seulement critique d’une position qui me semble biaisée. Certes, il s’agit aussi d’un “usage public de l’histoire”, mais celui-ci se fait, autant que possible, sans ambitions politiques ou idéologiques cachées sous un vernis sérieux. Par ailleurs, je ne dicte rien. Si le lecteur n’est pas convaincu par la démonstration, libre à lui de s’en tenir à son acception des choses.

Pour conclure, à mon avis, si l’Histoire sert c’est surtout, comme n’importe quelle science humaine, apprentissage d’une pensée équilibrée et raisonnée. Je ne sais pas encore si Clio va me permettre d’accéder à un métier et donc subvenir à mes besoins, mais pour tout ce qu’elle m’a déjà apporté, je lui dis merci.


[1] “Déclaration de M. François Hollande, Président de la République, en hommage aux résistants et aux combattants de la Première Guerre mondiale, à Oyonnax le 11 novembre 2013”Viepublique.fr (Dernière consultation le 12 février 2014)

N'oubliez pas de partager, ça aide le blog à avancer !