[Japon] La colonisation japonaise de la Corée : un passé qui ne passe pas

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Une jeune “femme de réconfort” chinoise dans un camp à Rangoon le 8 août 1945. © Wikimedia Commons

Si, en 1994, Eric Conan et Henry Rousso écrivaient que, pour la France, Vichy est un “passé qui ne passe pas” [1], ce qui a contribué à rendre la mémoire du régime pétainiste un peu moins brûlante qu’elle ne fut, je suis tenté de croire qu’un tel travail “d’introspection nationale” n’a pas encore été effectué par les Japonais, tout du moins à l’échelle du grand public. De fait, les médias français se font parfois le relais de mots ou actions controversées effectuées par des officiels nippons concernant des faits historiques datant de l’époque du deuxième conflit mondial. Récemment, on se souviendra des propos du maire d’Osaka [2] sur le caractère “nécessaire” des “femmes de réconfort” ainsi que les régulières visites officielles au sanctuaire shinto de Yasukuni, la dernière [3] s’étant déroulée le 20 octobre dernier. Par ailleurs, à en croire le récit [4] d’une journaliste française expatriée au Japon, Alissa Descotes-Toyosaki, le phénomène est loin de s’atténuer ces dernières années, le Parti Libéral Démocrate (droite), actuellement au pouvoir, tendant à déposer un voile opaque sur cette période. L’équivalent japonais du discours de Jacques Chirac [5] le 16 juillet 1995  n’a pas (pour l’instant ?) été prononcé.

Toutefois, il ne s’agit pas uniquement d’un syndrome touchant la seule classe politique, mais aussi des pans entiers de la société. Au premier rang on trouve le sanctuaire Yasukuni. Selon l’historien Yoshiaki Yoshimi, cité par Alissa Descotes-Toyosaki, le lieu :

présente la thèse officielle d’un Japon non-agresseur qui a au contraire libéré les pays est asiatiques du joug occidental. L’exemple le plus remarquable de ce déni de l’Histoire est l’absence de tout document sur les atrocités commises par l’armée impériale, dont le massacre de Nankin présenté comme un “Incident”.

Par ailleurs, ce déni peut se manifester à travers des avatars assez surprenants. C’est le cas des vidéos dont je voudrais parler. Elles sont le fait d’une youtubeuse japonaise, randomyoko2. Celle-ci a récemment mis en ligne deux vidéos aux titres évocateurs, Annexation Song et Comfort Women Song. Les voici :

Même si j’ai mon opinion personnelle sur la validité et la pertinence des arguments présentés par la youtubeuse pour défendre sa cause (cf. la description de Comfort Women Song), je me défendrai bien de prendre position ou d’embrasser le dossier à bras le corps tellement mes connaissances sont frêles.

Néanmoins, ces vidéos sont intéressantes sur le plan de la mémoire. Je ne sais pas quelle audience il faut accorder à cette personne, mais ce genre de contenu semble malgré tout en phase avec une certaine pensée, semble-t-il, assez largement répandue dans la société japonaise. Pensée selon laquelle la colonisation a “libérer” les peuples asiatiques des jougs de leurs “servitudes passées”. Toute ressemblance avec le système de pensée qui a permis de légitimer, en Occident, la colonisation, notamment en Afrique et en Asie, ne serait que, bien entendue, fortuite… En Europe ces controverses sont parfois vives et que toute évocation du passé colonial est sulfureux, tout cela ne relève plus d’une “vérité officielle” car le politique, et la société, a su se saisir des travaux historiques pour interroger son comportement colonial. Si les exemples de Yoshiaki Yoshimi, de Saburô Ienaga [6]  ou d’anonymes qui se mobilisent contre le négationnisme étatique, peuvent donner de l’espoir, il demeure que les résistances sont toujours fortes en 2013.


[1] Conan E. et Rousso H., Vichy, un passé qui ne passe pas, Paris, 1994. Présentation du livre dans le numéro 1152 de l’émission “Un livre, un jour” du 20 avril 1996, disponible sur le site de l’INA. (Dernière consultation le 3 novembre 2013)

[2] Pons P., “Quand le maire d’Osaka juge “nécessaires” les “femmes de réconfort”Le Monde (18 mai 2013) (Dernière consultation le 3 novembre 2013)

[3] “Japon : un deuxième ministre visite le sanctuaire controversé Yasukuni”Le Monde (20 octobre 2013) (Dernière consultation le 3 novembre 2013)

[4] Descotes-Toyosaki A., “Japon : la mémoire impossible des « femmes de réconfort »”Rue89 (12 juin 2013) (Dernière consultation le 3 novembre 2013)

[5] “Allocution de M. Jacques CHIRAC Président de la République prononcée lors des cérémonies commémorant la grande rafle des 16 et 17 juillet 1942”Wikiwix (version archivée). L’intégralité du discours peut également être trouvé sur le site internet d’une association de sympathisants de l’ancien chef d’Etat. On pourra écouter une partie du discours dans un reportage de France 2 du 16 juillet 1995. (Dernières consultations le 3 novembre 2013)

[6] Lewis P., “Saburo Ienaga, Who Insisted Japan Disclose Atrocities, Dies at 89”New York Times (8 décembre 2002) (Dernière consultation le 3 novembre 2013)

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