[France] La mémorite aiguë

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Jean Moulin et la croix de Lorraine, représentant et emblème d’une certaine mémoire de la Résistance

Il y a environ vingt ans Jacques Le Goff diagnostiquait, dans un article célèbre, un mal qui touchait – touche encore ? – la communauté universitaire : la colloquite aiguë. Il serait possible de prononcer la même sentence à propos de l’Etat et de la société plus généralement. J’appelle cela la mémorite aiguë.

A l’instar de sa comparse universitaire, elle pourrait se définir par une boulimie de commémorations et moments mémoriels qu’il ne serait en aucun cas judicieux de réguler pour ne pas offenser telle ou telle communauté et ses représentants. En 2008, le rapport Kaspi [1] alertait déjà les pouvoirs législatif et exécutif de cette inflation mémorielle.

Le dernier accès de mémorite aiguë connu provient d’une proposition de loi soumise à l’Assemblée Nationale par la députée Emilienne Poumirol pour la création d’une journée nationale de la Résistance, le 27 mai [2]. Même si l’élue se défend de vouloir créer une loi mémorielle ou participer à la multiplication des commémorations, il y a quelque chose d’étrange dans son propos. En effet, on ne se déclarait par « résistant » tout court, l’engagement dans la Résistance découlait nécessairement d’une pensée politique, qu’elle soit de tendance plutôt gaulliste ou communiste. Or, même si la députée a bien conscience que le Conseil National de la Résistance n’était pas « monochrome », parler de la Résistance comme un fait unitaire tend à gommer les spécificités de chaque mémoire. La mémoire gaulliste est nécessairement différente de son homologue communiste.

De même, la proposition de loi invite les

« les enseignants de ces classes [troisième, première et terminale] à se servir de cette journée pour évoquer avec leurs élèves la Résistance et ses valeurs ».

Quelles sont les valeurs de la Résistance ? En effet, celle renvoie-t-il au Conseil National de la Résistance et son fameux programme ? Ou dois-je y voir les traits des valeurs de chaque tendance composant ce qui va devenir les Forces Françaises de l’Intérieur ? Le texte ne répond pas à cette question. Pourtant elle est fondamentale. Il ne faut pas oublier que le CNR et son programme sont nés suite à d’intenses tractations entre des tendances antagonistes, gaullistes et communistes notamment, et que donc il ne peut refléter qu’une partie des « valeurs » de chacun. Par conséquent, il y a dans cette thématique des valeurs d’une Résistance unifiée une ambiguïté qui mériterait d’être éclaircie. Espérons que la députée, ou tout autre parlementaire, fera cet effort.


[1] “Rapport de la Commission de réflexion sur la modernisation des commémorations publiques”La documentation française (Novembre 2008) (Dernière consultation le 7 juillet 2013)

[2] “Examen de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, relative à l’instauration du 27 mai comme journée nationale de la Résistance (n° 849) (Mme Émilienne Poumirol, rapporteure)”Assemblée nationale (25 juin 2013) (Dernière consultation le 7 juillet 2013)

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