[Namibie] Un génocide des Hereros en 1904-1905 ?

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Extrait du “Petit journal” du 21 février 1904. Il porte la légende “Combat sanglant dans le Sud-Ouest africain / La garnison allemande de Windhoek, assiégée par les Herreros, débloquée”. © Gallica / Wikimedia Commons

Dans mon dernier article, j’annonçais qu’une certaine révision de la qualification génocidaire de la répression de la police allemande contre le soulèvement des Hereros, pourrait être nécessaire. Tout d’abord cette thématique de la répression des Hereros comme phénomène génocidaire semble aujourd’hui historiographiquement admis. Je ne citerai pour preuves que deux exemples récents, les pages 198 à 201 de Les sociétés coloniales à l’âge des empires (1850-1960) [1] et Germany’s genocide of the Herero. Kaiser Wilhelm II, his general, his settlers, his soldiers [2]Cette idée semble remonter au rapport Whitaker pour l’ONU de 1985 [3], même si celui-ci n’a pas été voté et que la définition de génocide demeure celle de 1948. Politiquement, depuis 2004 l’Allemagne reconnaît sa responsabilité dans le génocide des Hereros [4].

Dès lors que l’on commence à s’intéresser à ces événements et à sa qualification génocidaire, on se retrouve face à une citation du commandant allemand de l’époque, Lothar Von Trotha. L’interrogation du contenu de ce document va être ma principale tâche dans le présent article. De fait, dans un ordre daté du 2 octobre 1904 [5] l’officier affirme ceci :

Le général des troupes allemandes [en Namibie] envoie cette lettre au peuple Herero.

Les Hereros ne sont dorénavant plus sujets allemands […] Tous les Hereros doivent partir ou mourir. S’ils n’acceptent pas, ils y seront contraints par les armes. Tout Herero aperçu à l’intérieur des frontières [namibiennes] avec ou sans arme, sera exécuté. Femmes et enfants seront reconduits hors d’ici – ou seront fusillés […] Nous ne ferons pas de prisonnier mâle ; ils seront fusillés.

Telle est ma décision prise pour le peuple Herero”

Signé : le grand général du tout puissant Kaiser [Guillaume II],
Lieutenant général Lothar Von Trotha.
le 2 octobre 1904

Loin de moi l’idée de nier ou minimiser l’ampleur des massacres, des estimations tendent à affirmer qu’entre 25.000 et 60.000 individus sont morts.  Suite à ces massacres, la population des Hereros et Namas s’élevait à environ 15.000 âmes en 1911. La répression de la révolte des Hereros est à n’en pas douter un massacre colonial. De même, avec la responsabilité du gouvernement colonial allemand dans les faits, l’ordre de Von Trotha est une preuve trop accablante pour envisager une déconstruction. Toutefois, la dénomination de génocide peut être sujette à interrogation. Pour cela il me semble nécessaire de ne s’attacher uniquement qu’à l’analyse de la pensée de Von Trotha.

 

Tuer tous les membres d’une communauté ou seulement ceux présents sur un territoire donné ? :

 

De fait, l’officier affirme que l’exécution ne concerne que les Hereros présents au sein des frontières du Sud-Ouest Africain Allemand. Ce qui ne saurait être nécessairement compris comme l’ensemble des Hereros. Je dois avouer mon incapacité à consulter un atlas des lieux de peuplement hereros afin de vérifier si des Hereros vivaient en dehors de la colonie du Kaiser. Toutefois, comme je l’ai dit précédemment, ici les faits sont secondaires, seule la pensée de Von Trotha compte. Or, ce dernier ordonne à ses troupes, en substance, “Tuez tous les Hereros chez nous” et non “Tuez tous les Hereros de la Terre”. Son intention était “uniquement” l’éradication d’une population considérée comme dangereuse au sein d’un espace donné. En cela il n’est donc pas comparable avec, par exemple, les cas emblématiques des génocides des juifs en Europe ou des Tutsis au Rwanda puisque dans ces deux cas il y a transgression des frontières pour accomplir l’objectif ultime, le meurtre d’une population précise, que ce but soit premier ou corollaire du déclenchement des hostilités.

Par ailleurs, dans l’ordre aux Hereros, Von Trotha propose une alternative à ce peuple, partir ou mourir, ce qui tend à accréditer l’hypothèse que l’intention de base n’est pas de massacrer l’ensemble des Hereros vivants sur la surface du globe terrestre, mais de pacifier, avec des méthodes brutales certes, un territoire dans lequel le gouvernement colonial est contesté.

 

Un concept anachronique en 1904-1905 :

 

Plus généralement, est-il possible de parler de génocide alors que le concept n’a été forgé que plusieurs décennies plus tard, et ce dans un contexte bien précis, la fin de la Deuxième Guerre mondiale en 1945 et la découverte de la politique nazie vis-à-vis des Juifs ? Certes, le génocide est un crime contre l’humanité et à ce titre il est juridiquement imprescriptible. Toutefois, si cette intention du législateur est compréhensible à l’époque dans la perspective du procès de Nuremberg à venir, n’est-ce pas, malgré tout, un problème en termes d’épistémologie de la science historique ?

En somme, l’interrogation se situe sur la pertinence dans le fait de condamner, avec des armes juridiques de notre époque, des crimes qui se sont passés il y a plusieurs décennies alors que les populations fautives ne connaissaient pas cette prescription à l’époque des faits. La récente plainte du CRAN [6] contre la Caisse des Dépôts et Consignations est en cela un cas caricatural. C’est pourquoi je suis de plus en plus dubitatif sur l’intérêt d’utiliser du vocable “génocide” pour des crimes commis avant 1945. Si les massacres entre Hutus et Tutsis au Rwanda durant les années 1990 peuvent être légitimement qualifiés de génocide, les exactions des armées ottomanes contre les populations arméniennes à la fin de la Première Guerre mondiale ne sauraient rentrées dans cette catégorie. Pour pallier au vide linguistique que cette distinction institue, il serait me semble-t-il possible de parler de “proto-génocide” ou de “massacre à tendance génocidaire”. Toutefois, ce ne sont que des propositions et une première ébauche, donc nécessairement perfectible. Certes, cela peut paraître une précision anecdotique pour certains, mais un tel flou remet en cause un des fondements de la bonne compréhension des faits passés, ne pas juger ces derniers sur des critères actuels mais à partir des mentalités des protagonistes.


[1] Surun I. (dir.), Les sociétés coloniales à l’âge des Empires (1850-1950)Paris, 2012

[2] Sarkin J., Germany’s Genocide of the Herero: Kaiser Wilhelm II, His General, His Settlers, His SoldiersLondres, 2014

[3] Whitaker R.B. (dir.), Revised and updated report on the question of the prevention and punishment of the crime of genocide1985. On regardera notamment l’étude historique en début de rapport. (Dernière consultation le 28 mai 2013)

[4] “Un siècle après leur extermination, l’Allemagne restitue des crânes aux Héréros et Namas”RFI (1er octobre 2011)

[5] On en trouvera une copie sur le site de la fédération toulonnaise de la Ligue des droits de l’homme. (Dernière consultation le 28 mai 2013)

[6] Michel A. et Vincent E., “Le CRAN veut poursuivre la Caisse des dépôts pour avoir “profité de l’esclavage”Le Monde (10 mai 2013) (Dernière consultation le 28 mai 2013)

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