[France] Le problème de l’ingérence des politiques en Histoire

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Capture d'écran de la publicité de France pour une diffusion de l'épisode en question

Capture d’écran de la publicité de France pour une diffusion de l’épisode en question

Cet article pourrait tout aussi bien s’appeler : Jean-Luc Mélenchon et Alexis Corbière contre Franck Ferrand ou De l’art de desservir une cause. Certes, comme dit l’adage, l’enfer est pavé de bonnes intentions, mais parfois un cœur pur et sincère ne sert à rien.

De fait, à travers ces lignes, je voudrais réagir à l’initiative [1] d’Alexis Corbière et Jean-Luc Mélenchon d’interroger le président de France Télévisions concernant la multidiffusion de l’émission de Franck Ferrand, L’ombre d’un doute, sur Robespierre et la Vendée. Si les auteurs de la lettre ont tout à fait raison sur le fond de l’affaire, le contenu du reportage étant orienté et désire démontrer l’existence d’un génocide vendéen qui n’est que pure légende sortie de l’esprit de Reynald Sécher [2] et ses partisans. Je salue même leur demande d’un droit de réponse des historiens sur la question. Néanmoins, je crédite le texte des élus de deux écueils majeurs.

 

Rediffuser par propagande ou appât d’un succès d’audimat facile ? :

 

Le premier est relativement ponctuel puisque les auteurs écrivent que :

Il semble qu’après le 7 mars et le 16 août 2012, puis le 23 janvier 2013, dates des trois précédentes diffusion, il soit prévu une quatrième diffusion le 4 février prochain. Quatre diffusions en moins d’un an, cela nous semble assez exceptionnel pour exprimer une intention politique avérée.

En somme, France 3 serait la prosélyte de la vulgate furetienne [3], dont on sait qu’elle était très critique – pour ne pas dire méprisante – envers la pensée marxiste. Certes, l’hypothèse d’un contenu idéologique de la rediffusion en chaîne n’est pas à exclure à priori, mais pourquoi est-ce forcément cela ? Ne peut-on envisager l’éventualité que France 3 rediffuse souvent ce programme parce que cela permet de combler des heures d’antenne vides et que L’ombre d’un doute étant, malheureusement, un programme qui fonctionne bien, France 3 serait trop bête de ne pas rediffuser plusieurs fois une émission dont elle sait que cela va accrocher plusieurs milliers de téléspectateurs. De plus, c’est un sujet polémique, le plus amène d’attirer de nombreux téléspectateurs.

Par ailleurs, j’ai le souvenir personnel d’avoir déjà zappé deux fois sur l’épisode de L’ombre d’un doute concernant Léonard de Vinci et ce en moins d’un an. Ce qui rend possible l’éventualité d’une rediffusion de la même ampleur que celle sur Robespierre. Si on suit les informations données par France 3 sur les diffusions du programme cela n’est pas encore le cas, mais étant donné que l’épisode sur Léonard de Vinci a été produit quelques mois après celui sur Robespierre, on ne peut négliger l’hypothèse.

Je ne cherche pas a défendre France 3 dans cette affaire, mon avis étant extrêmement critique sur la qualité de L’ombre d’un doute en règle générale et des acolytes en plateau de Franck Ferrand tous plus nuls les uns que les autres. Mon seul souhait ici est de ramener un peu d’honnêteté intellectuelle dans le débat, ce qui manque malheureusement à Jean-Luc Mélenchon et Alexis Corbière dans leur tribune.

 

Une bonne parole, de mauvais porte-voix :

 

Le second écueil à mon sens provient de la personnalité même des auteurs. Loin de moi l’idée de critiquer à priori les propositions générales du Parti de Gauche en matière de politique économique, sociale etc., des millions de citoyens ayant voté pour Jean-Luc Mélenchon aux dernières présidentielles. De plus, l’Histoire appartenant à tout le monde, ils ont tout à fait le droit de prendre position, en tant que citoyens, sur l’Histoire, notamment française.

Néanmoins, je ne suis pas sûr que leur position soit la meilleure possible pour parler d’Histoire. En effet, le Parti de Gauche est un allié du Parti Communiste Français au sein du Front de Gauche, donc il est souvent assimilé aux communistes dans l’imaginaire commun de la société française. Or, de nombreuses omissions et interprétations historiques malencontreuses ont émaillé le passé du Parti Communiste Français, ce qui induit une certaine décrédibilisation de la parole historique du PCF dans l’opinion. Donc cette même opinion, dans une frange plus ou moins large de la population, va avoir tendance à interpréter le texte de Jean-Luc Mélenchon et Alexis Corbière comme une énième tentative d’imposition de la vérité historique de l’aile gauche de l’échiquier politique. L’opinion ne retiendra que cela et non la bonne proposition de débat ouvert formulée par les auteurs de la lettre. J’en veux pour preuve certains commentaires de cet article par exemple. Cette affiliation renforce encore un peu plus les éternels poncifs sur des facultés d’histoire, et les universités de façon plus générale, complètement infiltrées par “les rouges”. De fait, nous sommes dans une version bis des événements qui ont suivi la demande d’Alexis Corbière – toujours lui – afin que la mairie de Paris cesse la promotion de l’ouvrage Métronome de Lorant Deutsch. A cette époque le débat s’était focalisé [4] sur “les méchants communistes qui veulent censurer le livre d’un p’tit gars sympa” et avait complètement éclipsé la demande de débat contradictoire [5] formulée par William Blanc. Au final c’est cela qui pénalise le plus à mon sens les historiens.

 

Tracer sa route, sans l’aide des politiques :

 

Certains diront qu’une médiatisation même pour de mauvaises raisons est une médiatisation quand même et donc que ce serait du pain béni pour les historiens contradicteurs de la thèse du génocide vendéen. Certes, cela possède une part de vrai, mais le prix à payer pour cela n’est-il pas un peu lourd ? En effet, à force que les politiques prennent appui sur les propos des historiens pour parfaire des armes contre leurs opposants, j’ai peur que les historiens incriminés, et peut-être même plus largement la corporation historienne, soient vus comme des intellectuels au service de tel ou tel parti et non plus des scientifiques libres.

In fine, la simplification excessive des médias fera en sorte qu’une bonne idée de fond, comme celle de Jean-Luc Mélenchon et Alexis Corbière de demander un plus large débat avec une contradiction des historiens, sera noyée dans la masse du refus parce qu’elle provient de tel ou tel parti politique. Je suis conscient que cela peut paraître caricaturale, mais le manque d’honnêteté intellectuelle est un fléau, duquel je suis moi-même parfois affligé, hélas. Dans de nombreux imaginaires la communauté historienne redeviendra alors l’immonde bête marxisante.

Peut-être que j’exagère, j’espère même, mais j’ai peur que non. Plus largement, je refuse catégoriquement toute intrusion des politiques dans le champ historique lors de débats qui sont mal tranchés scientifiquement. Peut-être que cela entretient la position de marginalité sociale de la communauté historienne, ce qui implique une mauvaise compréhension de l’utilité de l’Histoire, mais il m’est d’avis que Paris ne vaut pas toujours une messe…


[1] Corbière A., “Vendée, Robespierre, Révolution française, etc. Assez de calomnies ! Avec Jean-Luc Mélenchon, je m’adresse aux Présidents de France Télévision et du CSA”Blog personnel d’Alexis Corbière (30 janvier 2013) (Dernière consultation le 1 février 2013)

[2] Notamment à partir de son livre La Vendée-Vengé. Le génocide franco-français.

[3] Weill N., “”Penser la Révolution française”, par Nicolas Weill”, Le Monde (13 août 2008) (Dernière consultation le 1 février 2013)

[4] Sallé C., “Lorànt Deutsch attaqué par des élus communistes”Le Figaro (11 juillet 2012) (Dernière consultation le 1 février 2013)

[5] Blanc W., “Métronome – Goliard[s] ne veut la tête de personne !”Goliards (Dernière consultation le 1 février 2013)

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