[Popularisation] De la bonne popularisation

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Masque de facture grecque retrouvé à Aï Khanoum, actuelle Afghanistan. © Wikimedia Commons. Cette cité est le sujet d’une des “histoires” de Maurice Sartre

L’idée de ce billet me vient après le début de la lecture du livre Histoires grecques [1] par Maurice Sartre, professeur émérite de l’Université de Tours et spécialiste de l’histoire grecque et latine du Proche-Orient et de la Syrie. Le principe de base de ce livre est de prendre appui sur plusieurs sources documentaires, tels que les tessons qui ont servis à ostraciser Thémistocle, l’imitation arabe d’une monnaie athénienne du IVème siècle ou un chapiteau ionique en bois trouvé sur les bords de l’Amou Daria, pour pouvoir parler des sujets les plus divers de la culture grecque. En effet, l’auteur dresse le croquis de la colonisation grecque aux époques archaïques et hellénistiques, l’éducation, le commerce ou encore les relations entre les Grecs et les populations locales.

Ma lecture n’étant pas encore terminée, je ne saurais avoir un avis définitif sur l’ouvrage. Néanmoins, de ce que j’ai pu lire à présent, le contenu est pointu, précis et donne de nombreux points de vue sur l’état de l’historiographie actuelle. Qui plus est la méthode historique est respectée, même si on peut regretter l’absence de bibliographie finale ou en fin de chapitre ainsi que les références aux ouvrages cités. Si certains pourraient dire qu’il s’agit d’une coquetterie, je demeure convaincu que le choix de quelques simples publications générales sur chaque sujet permettrait aux lecteurs non connaisseurs de pousser plus loin leurs investigations. Dommage. Malgré tout, on notera l’utile glossaire présent à la fin du livre pour donner une courte définition de termes grecs ou spécifiques à l’étude de l’histoire grecque. De même, la présence de cartes en début de volume peuvent permettre au lecture de bien saisir ce qu’était la géographie du monde grec. Par ailleurs, le style d’écriture est agréable à lire et assez simple pour que n’importe quel passionné d’histoire grecque puisse passer un bon moment de lecture.

 

Populariser, vulgariser, de quoi parle-t-on ? :

 

Derrière cela et grâce à cet exemple, je voudrais revenir une nouvelle fois sur la polémique du Métronome de Lorant Deutsch et parler, une nouvelle fois, de la popularisation de l’Histoire. Avant de comparer les ouvrages de Maurice Sartre et de Lorant Deutsch puis de les passés sous le prisme de la vulgarisation, il faut tout d’abord tomber d’accord sur une définition de cette notion. Dans son article consacré, l’encyclopédie en ligne Wikipedia explique que la vulgarisation est

le lien volontaire de transmission qu’effectue un chercheur, un expert, un enseignant, un animateur, un médiateur, un conférencier, un journaliste du savoir qu’il produit ou maîtrise (science, culture au sens large, acquis par une communauté scientifique, technique et académiques, etc.) vers le public profane.

Larousse.fr est assez peu disert puisque pour lui vulgariser est l’

Action de mettre à la portée du plus grand nombre, des non-spécialistes des connaissances techniques et scientifiques.

Dans son entrée sur le sujet, le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales explique quant à lui que vulgariser est le

Fait de diffuser dans le grand public des connaissances, des idées, des produits.

ou

Fait d’adapter des notions, des connaissances scientifiques ou techniques afin de les rendre compréhensibles au non-spécialiste; reformulation d’un discours spécialisé qui consiste généralement à le débarrasser de ses difficultés spécifiques, de ses caractères techniques afin de le rendre accessible au grand public.

Enfin, le dictionnaire Littré est absolument lapidaire, mais va dans le même sens que les précédents. Donc, de fait, tous les dictionnaires s’accordent pour dire, peu ou prou, que la vulgarisation est la transmission d’un savoir X par un acteur savant Y à un public novice ou profane Z.

 

Revue de détail de quelques exemples actuels :

 

Néanmoins, quelle forme cette popularisation/vulgarisation doit-elle prendre ? L’accessibilité d’un savoir par l’organisation régulière de conférences et de cours ouverts à tous comme le font les universités populaires et notamment celle de Michel Onfray à Caen ? L’organisation de lieux d’échanges, à travers des ballades ou des visites comme le font les Goliard[s], ou de conférences puis débats, tels celui organisé par la Société Normande de Philosophie [2] suite à la publication de l’ouvrage de Michel Onfray sur Freud, entre le savant et le public ? On pourra faire des reproches à chacune des méthodes [3], mais il ne demeure pas moins qu’il s’agit d’idées qui méritent d’être encouragées et approfondies. La question de la forme se pose également au sujet des textes et du style littéraire. Doit-on être érudit et pompeux, comme le voudraient certains, ou se mettre à la portée du public qui lit en utilisant un langage courant voire légèrement soutenu ? De même, la vulgarisation a t-elle pour but de “faire vivre” l’époque au lecteur ou d’établir et faire s’enchaîner de façon simple des faits ainsi que leurs causes et leurs conséquences ? En somme, est-ce que la vulgarisation de l’Histoire doit faire appel aux tréfonds émotionnels de la personne ou rechercher à toucher son cerveau ? Enfin, l’historien vulgarisateur doit-il appliquer ou mettre en veilleuse sa méthode habituelle ?

 

Maurice Sartre vs Lorant Deutsch : fight !

 

Une fois ces questions posées, amusons-nous du jeu des comparaisons entre les deux ouvrages précédemment cités. Tout d’abord sur la vulgarisation. Dans le cas des deux auteurs, le souci semble sincère, Lorant Deutsch intervenant même dans des classes de primaire de l’académie de Paris [4] alors que Maurice Sartre explique (p. 15) que dans son travail

il y a sans aucun doute une volonté pédagogique […] pour les plus jeunes, mais ceux qui ont passé l’âge de fréquenter les bancs de  nos universités y trouveront peut-être plaisir en retrouvant des documents bien connus […].

Donc égalité. Deuxième point : l’expression littéraire. Ici aussi, le style littéraire est relativement similaire, les deux auteurs utilisent un langage qui sans être clairement soutenu n’est pas familier non plus.

En ce qui concerne le caractère vivant du récit, l’oeuvre, formats papier et télévisuel, de Lorant Deutsch tend à faire ressentir aux personnes qui le lisent ou l’écoutent des émotions particulières comme en témoigne le recours à l’anecdote et à la petite histoire à caractère moralisant. En outre, je ne reviendrais pas sur les différents biais politico-idéologiques qui pullulent dans le livre, dont j’ai déjà parlé ailleurs. A l’inverse, le travail de Maurice Sartre est, heureusement, beaucoup plus transparent émotionnellement puisqu’à aucun moment il n’esquisse un quelconque sentiment ou point de vue sur les faits, les seuls désespoirs qu’il peut faire ressentir sont cantonnés à l’absence ou la disparition de sources précieuses pour l’historien, donc rien de fondamentalement clivant. Cela est d’autant plus remarquable que certains sujets peuvent être à tendances polémiques ou à des interprétations anachroniques, notamment la colonisation grecque archaïque ou la tentative des derniers païens, dont Hypatie d’Alexandrie, de demeurer païens dans un monde chrétien.

Enfin, vient le moment de comparer la méthode de chacun des auteurs. Pour ce qui est de celle de Lorant Deutsch je ne citerais, outre l’article de ce blog précédemment cité,  que la critique de Pierre Assouline, parce que dernière en date, parue dans le numéro de juin dernier numéro de l’Histoire [5]. Même si notre point de vue sur la méthode  de Lorant Deutsch dans le Métronome est acerbe, cela ne revient pas pour autant à totalement légitimer en creux celle de Maurice Sartre. En effet, j’ai pointé plus haut dans cet article quelques points qui auraient mérités d’être approfondis. Certes Lucien Febvre expliquait [6], par une périphrase sur la cuisine, que l’hypertrophie de notes de bas de page et d’érudition ne servaient pas forcément le propos du vulgarisateur, mais quelquefois l’absence de ces mêmes notes explicatives produit le même effet que l’hypertrophie. De même pour la bibliographie. Avec cet exemple, je continue de penser que dans un ouvrage de vulgarisation, on pourrait presque dire surtout dans une publication de ce type, la méthode historique doit être respectée, notamment sur le principe de citation des sources, anciennes ou modernes. On peut comprendre des aménagements afin que l’ouvrage ne ressemble pas, pour le profane, à une somme indigeste, mais pas un sacrifice sur l’autel de l’édition.

 

Conclusion :

 

Pour conclure, si l’ouvrage de Maurice Sartre est un ouvrage de vulgarisation infiniment meilleur que celui de Lorant Deutsch, il ne demeure pas moins que, à mon sens, certains défauts apparaissent. Où est la faute de l’auteur ? Où est celle de l’éditeur ? Seuls les protagonistes le savent. Il ne reste pas moins que le seul personnage légèrement flouée dans cette affaire est le lecteur un tant soit peu connaisseur de la méthode historique. Malgré cela des initiatives de publications dans la même veine que celle de Maurice Sartre doivent être encouragées.


[1] Sartre M., Histoires grecquesParis, 2009

[2] “Rumeurs et vérité en histoire. Débats 1/3”, Chaîne Dailymotion de la Société Normande de Philosophie (mise en ligne le 24 juin 2010) (Dernière consultation le 24 juin 2012)


[3] Blanc W., “Un goliard sur Inter”, Goliards.fr (26 février 2012) (Dernière consultation le 24 juin 2012)

[4] Cours d’histoire survoltés avec le comédien Lorànt Deutsch”Chaîne Dailymotion de la mairie de Paris (mise en ligne le 20 mai 2010) (Dernière consultation le 24 juin 2012)


[5] Assouline P., “Métronome dites-vous ?”L’Histoire 377 (juin 2012) (Dernière consultation le 24 juin 2012)

[6] Febvre L., “Un feuilleton ou comment vulgariser l’Histoire”Annales. Economies. Sociétés. Civilisations 1-2 (1946), p. 156-157.

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