[Enseignement] De l’hystérie autour des nouveaux programmes du collège

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« Alors là tu vois Moussa c'est le gentil Charles Martel qui a tapé sur les méchants Arabes qui voulaient nous envahir lors de la bataille de Poitiers en 732 » Le rêve des déclinologues, le retour à un enseignement patriotique de l'histoire.

« Alors là tu vois Moussa c’est le gentil Charles Martel qui a tapé sur les méchants Arabes qui voulaient nous envahir lors de la bataille de Poitiers en 732 »
Le rêve des déclinologues, le retour à un enseignement patriotique de l’histoire.

Périodiquement les programmes d’enseignement d’histoire-géographie du secondaire sont révisés. C’est à la tâche de réformer ceux du collège que s’attelle actuellement le ministère de l’Éducation nationale, aidé du Conseil Supérieur des Programmes. Le détail en est disponible ici. Comme à l’accoutumée, à cette occasion les débats sont vifs. Pour un état général des différentes critiques les plus folles, je renvoie à cet article du site Histoire pour tous [1].

Je ne saurais trop rappeler que, à l’heure actuelle, les nouveaux programmes, notamment en histoire-géographie, ne sont qu’au stade de projet et que de nombreuses étapes consultatives et délibératives sont prévues avant leur adoption définitive et donc leur mise en place. De même, un des principes fondamentaux de la corporation enseignante tient à l’atout de la liberté pédagogique. Celui-ci n’implique pas de pouvoir enseigner n’importe quoi, mais de laisser à l’enseignant la souplesse de pouvoir atteindre l’objectif fixé par les programmes de la manière qui lui paraît la mieux adaptée eu égard à ses élèves et ses méthodes personnelles. Par conséquent, toutes les polémiques autour des sous-entendus politiques des programmes sont toujours absurdes étant donnée que les enseignants ont une capacité d’agir forte.

 

Diriger c’est faire des choix :

 

Par ailleurs, même si mon poste actuel d’assistant d’éducation implique que je ne fais pas partie de “l’engeance des seigneurs” que constitue les enseignants au sein de l’Education Nationale, j’ai essayé de comprendre les différentes composantes de la nouvelle réforme du collège mise en place par Najat Vallaud-Belkacem.

Cela a donné des discussions animées et franches – pour ne pas dire tendues – sur les réseaux sociaux [2]. Il demeure qu’il me semble nécessaire de concevoir cet allègement probable des programmes en lien avec les projets de nouveaux enseignements interdisciplinaires, les EPI. Ces derniers – dont la pertinence et/ou la faisabilité peut être contestable, mais ceci est un autre débat –  ne sont rendus possibles que par une diminution des volumes des programmes. Il s’agit donc d’un changement profond, choix qui mérite débat, mais qui se respecte. Un pas de plus en direction de la tête bien faite contre la tête bien pleine donc, même si je suis conscient que résumer ainsi est réducteur et que de toute manière les deux approches ne sont pas fondamentalement antagonistes.

 

Des programmes contestables, mais pas pour les ineptes raisons habituellement invoquées :



Comme le rappelle l’article précédemment cité, tous les déclinologues de l’éducation et autres sectateurs d’un enseignement de l’histoire à vocation identitaire et patriotique, reprennent en cœur la fable selon laquelle l’étude de l’histoire de l’islam serait obligatoire alors que la période des Lumières se verrait rétrograder au rang de facultative. Le tout agrémenté de conjectures sur un affaiblissement hypothétique de “l’identité française”.

J’en veux pour preuve, parmi d’autres, ce tweet du “philosophe” Michel Onfray en date du 4 mai 2015 [3] :

Avec les nouveaux programmes d’histoire : Islam obligatoire, Lumières facultatives. Michel Houellebecq sourit dans son coin …

Ou encore un certain consensus dans l’ensemble des droites autour de cette idée de perte identitaire à travers, par exemple, des communiqués de Bruno Le Maire et de 89 autres députés [4] (en date du 6 mai 2015), député UMP de l’Eure, ou de Nicolas Bay (en date du 23 avril 2015), secrétaire général du Front national [5].

En outre, je m’étonne un peu – mais pas tant que ça tant la décrépitude intellectuelle du personnage avance avec l’âge – des propos de Pierre Nora dans une interview au Journal du Dimanche [6]. Ce dernier explique :

Ces programmes portent à l’évidence la marque de l’époque : une forme de culpabilité nationale qui fait la part belle à l’islam, aux traites négrières, à l’esclavage et qui tend à réinterpréter l’ensemble du développement de l’Occident et de la France à travers le prisme du colonialisme et de ses crimes.

De fait, il est absolument aberrant d’affirmer que l’Islam est favorisé au détriment des Lumières. Comme l’expose clairement Christophe Naudin :

Tout d’abord, l’Islam. Il ne devient pas obligatoire, il l’était avant… Et il l’est tout autant que la naissance du judaïsme et du christianisme en 6ème. Que n’aurait t-on dit si seuls deux monothéismes sur trois avaient été considérés comme obligatoires ? L’Islam n’est pas favorisé, il est à sa juste place, dans l’histoire du Moyen Age […].

[…] Les Lumières à présent. […] Ce qui fait bondir les ayatollahs du roman national, c’est que le thème “Sociétés et cultures au temps des Lumières” est optionnel alors que le thème sur les empires coloniaux est obligatoire, tout comme celui sur la Révolution et l’Empire… Comment imaginer pourtant qu’un enseignant qui fait sérieusement son travail puisse parler, non seulement de la Révolution, mais aussi de la traite et de l’esclavage, sans donner une part importante aux Lumières ?

De fait, il existe, il me semble, deux points qui mériteraient des éclaircissements. Le premier concerne un des thèmes du programme de 4ème  : “La Première Guerre mondiale et les violences de guerre”. L’objet du litige n’est pas tant dans l’intitulé du thème que dans sa place au sein de l’ensemble. En effet, il est placé en fin d’année donc serait probablement étudier au cours des mois de mai et/ou juin, période de relatif relâchement dans l’attention des élèves. Par ailleurs, les inévitables impondérables qui peuvent émailler une année scolaire (problème de concentration des élèves donc retard chronique dans l’avancement du programme, jours fériés faisant manquer plusieurs heures de cours, événements annexes à la vie de l’établissement ou de la classe etc.) font que les enseignants peuvent, à leur corps défendant, manquer de temps pour étudier ce thème important, important non pour des raisons idéologiques, mais parce que les effets de la Première Guerre mondiale se font ressentir dans les inconscients des sociétés occidentales des années 1920 et 1930, que ce soit le sentiment d’humiliation en Allemagne ou le crédo pacifiste de la France ou l’Angleterre autour de l’idée d’un “plus jamais ça”.

Comme l’explique Michel Lussault, président du Conseil Supérieur des Programmes, sur Twitter [7], ce choix de découpage est avant tout pratique, l’étude du premier conflit mondial en classe de 3ème rendant cette dernière particulièrement dense. Cet argument s’entend et il est louable de penser au rythme des enseignements. Néanmoins, cela ne répond pas réellement à la question de l’étude réelle de la guerre de 14-18, par faute de temps. Par ailleurs, on appréciera à sa juste valeur ce choix en pleine période de commémoration massive du conflit à travers les événements du Centenaire. Il demeure que je fais confiance au professionnalisme des enseignants pour faire de leur mieux.

Le second point que je voudrais soulever concerne le programme de 3ème. De fait, le dernier thème de l’année s’intitule “Les Françaises et les Français en République de 1944 à nos jours” et se compose de deux chapitres :

De la IVème à la Vème République : démocratie sociale et évolution de la place de la France dans le monde
La France des années 60-70 : une société en mutation

Certains esprits pourraient trouver que l’on fait peu de cas de Vichy, mais aussi et surtout ils pourraient interroger la pertinence de cette borne chronologique finale autour des années 1970, comme s’il y avait une répulsion à étudier l’histoire du temps présent [8]. On pourra rétorquer qu’en ce qui concerne Vichy, des éléments pourront être apportés dans le chapitre sur la Deuxième Guerre mondiale, même si cela aurait pour conséquence d’alourdir ce dernier. De même, en faisant référence à la fois à la IVème et à la Vème république, l’intitulé souple du premier chapitre du thème peut permettre de dépasser la limite chronologique des années 1970.

 

Une autre vision de l’enseignement de l’histoire :

 

In fine, toutes les réactions épidermiques et polémiques susmentionnées démontrent – encore – que la société française a un immense besoin d’histoire. Enfin, d’une certaine vision civique de l’histoire. Le but de cette quête – malgré ce que de nombreux conservateurs expliquent sur les antennes de radio ou de télévision ou dans les journaux [9] – ne serait pas, il nous semble, de partir à la recherche d’hypothétiques et/ou fantasmées “racines”, mais plutôt la nécessité de se donner comme récit fondateur une geste glorieuse.

Toutefois, si cette société ne saurait se définir en tant que Nation uniquement par le biais du ressassement d’une histoire blanche, chrétienne et glorieuse plus ou moins mythifiée – et en dehors de toutes les réalités – , alors il est clair que nous, nous tous, sommes face à un problème d’envergure. Surtout cela serait oublier qu’il s’agit d’un récit construit qui n’apprend rien sur la réalité des faits. Une douce fable en somme.

En effet, les historiens ne veulent plus être les “instituteurs de la Nation”. Et je crois que cela constitue un geste salutaire, tant du point de vue civique, que de celui de l’intégrité intellectuelle de la profession. Dans le même temps, une ouverture intellectuelle sur d’autres espaces – projet déjà esquissé avec les programmes de 2008 et l’introduction de cours sur la Chine des Han ou l’Afrique de Monomotapa – ne saurait être vu comme une attaque contre “l’identité française”. En outre, je ne saurais trop rappeler, grâce au précieux travail du Réseau Historiographie et Epistémologie de l’Histoire, que ce n’est qu’au XIXème siècle que s’opère un lien profond et tenace entre identité nationale, patriotisme et enseignement de l’histoire. Auparavant, notamment au cours de la période moderne [10], l’histoire ne possédait pas cette vertu identitaire, même si elle était conçue comme un répertoire de récits à visée moralisante.

Cela ne revient pas à expliquer qu’il n’existe pas “d’identité française”, mais que sa transmission doit passer par d’autres canaux que ceux de l’enseignement de l’histoire. De l’audace donc à ces promoteurs d’identité pour expliquer ce qu’est “être français”, même si je saisis bien le caractère flou de ce concept, autrement que pour le recours à l’épopée historique. La formation identitaire n’étant pas sa fonction première, l’histoire doit être tenue en dehors de tous ces débats.

En ce qui concerne l’élaboration d’un hypothétique “programme parfait”, je tends à me rapprocher de la vision mise en avant par Laurence de Cock [11] selon laquelle :

L’enseignement de l’histoire produit un commun qui n’est pas l’apanage de celles et ceux qui pensent encore descendre des Gaulois. Il doit inventer un récit à plusieurs voix, transfrontalier, combinatoire ; un récit où hommes et femmes ordinaires partagent la responsabilité motrice de la marche du temps ; un récit qui débusque les dominations passées et fabrique les outils permettant de déjouer celles du présent.

Même si je me demande encore comment une telle ébauche pourrait prendre forme…


[1] Naudin C., “Polémique sur la réforme des programmes d’histoire”Histoire pour Tous, 4 mai 2015. (Dernière consultation le 12 mai 2015).

[2] Et j’en profite pour remercier Aurélie Gascon, Laurent Fillion et, dans une moindre mesure, Anthony Lozac’h pour leur patience à répondre à mes sempiternelles questions. Ainsi que Christophe Cailleaux pour ses remarques critiques souvent judicieuses.

[3] Tweet de @michelonfray, 4 mai 2015. (Dernière consultation le 12 mai 2015).

[4] Le Maire B., Lettre adressée à François Hollande pour le retrait de la réforme du collège, brunolemaire.com, 6 mai 2015. Une version vidéo est disponible sur la chaîne YouTube du parlementaire. (Dernière consultation le 12 mai 2015).

[5] Bay N., “Réformes des programmes scolaires : Najat Vallaud-Belkacem met toute la gloire de l’histoire de France à la fosse !”Front National, 23 avril 2015. (Dernière consultation le 12 mai 2015).

[6] Quenet M., “Pierre Nora sur les nouveaux programmes d’histoire : “L’image d’une France fatiguée””Le Journal du Dimanche, 3 mai 2015. (Dernière consultation le 12 mai 2015).

[7] Tweet de @MichelLussault, 13 avril 2015. (Dernière consultation le 12 mai 2015).

[8] Quoi vous avez dit que c’est du journalisme ? L’ouvrage récent de Ludivine Bantigny devrait pouvoir permettre de remettre en cause cette idée reçue.

[9] Par exemple, Pierre Nora explique posément et naturellement – dans l’interview au Journal du Dimanche – que, selon lui, les programmes doivent :

expliquer ce que la France a apporté à l’Europe et au monde et, inversement, ce qu’elle a reçu de l’Europe et du monde.

Le cadre chronologique pourrait reprendre les identités françaises successives : féodale, royale, monarchique, révolutionnaire, nationale, républicaine, et aujourd’hui démocratique. On mettrait l’accent sur ce que notre pays a apporté de singulier au reste du monde : par exemple les cathédrales, l’élan chrétien, ensuite et surtout le modèle de l’État-nation, l’absolutisme monarchique dans ce qu’il a de glorieux – Versailles, le Roi-Soleil… – et de niveleur pour les minorités nationales, les Lumières, la langue française qui a régné sur l’Europe du XVIIIe siècle, les droits de l’homme, l’expérience révolutionnaire dans ce qu’elle a de positif et de négatif, une littérature extraordinaire, l’expérience coloniale avec ce qu’elle a pu également apporter au monde, y compris des armes pour s’affranchir…

Une vision que ne bouderais certainement des déclinologues tels que Dimitri Casali, ce dernier étant complaisamment invité dans les médias (1, 2, 3 et 4, en à peine un mois…)

[10] Delacroix C. et Garcia P., “Histoire des programmes d’enseignement de l’histoire”archive.org. (Dernière consultation le 12 mai 2015).

[11] De Cock L., “Nouveaux programmes d’histoire : STOP aux poussées lacrymales”Mediapart (blog du collectif Aggiornamento histoire-géographie hébergé sur le site du journal), 27 avril 2015. (Dernière consultation le 12 mai 2015).

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