[Polémiques] De la guerre picrocholine de Guillaume Foutrier

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Illustration du "Quart livre" de François Rabelais par Gustave Doré (1832-1883)

Illustration du “Quart livre” de François Rabelais par Gustave Doré (1832-1883) parue dans une édition des “Oeuvres complètes” de Rabelais à Paris en 1873. © Wikimedia Commons

Je voudrais parler ici de la série de deux articles publiés par Guillaume Foutrier sur son blog et intitulée “A propos de la gauche, de l’histoire et “du roman national” ” [1]. A noter que depuis il a récidivé dans sa critique du CVUH avec un nouveau billet au titre provocateur : “La gauche qui fait genre”. Le ton des deux premiers articles est volontairement polémique puisqu’il s’agit d’une

Lettre ouverte aux historiens « rénovateurs » et autres « usagers » de la Congrégation pour la Vérité Universitaire de l’Histoire

Certains penseront que mettre en lumière un épiphénomène, un peu d’écume au sein de la vaguelette du net historique français, n’est pas réellement très intéressant. C’est vrai. Surtout plus d’un mois et demi après le début de la polémique. Toutefois, je tiens à le faire parce que ça va me permettre d’apporter quelques précisions de biographie personnelle ainsi que d’adopter un positionnement quelque peu critique vis-à-vis d’un collectif. Collectif dont j’apprécie globalement le travail, mais avec qui j’ai aussi certaines divergences. Le lecteur pourra ainsi se faire une opinion un peu plus complète en ce qui concerne ma position d’énonciation.

 

Qui est Guillaume Foutrier ? :

 

Avant de commencer, je vais m’intéresser à l’identité de l’auteur de ces deux textes. Non pas nécessairement pour affirmer que la prose de Guillaume Foutrier est orientée, mais pour mettre en évidence son point de vue et à partir de quel positionnement, politique, historiographique ou idéologique, il s’exprime. De fait, Guillaume Foutrier est, sans nul doute réellement possible, un historien universitaire. Il possède assurément une formation historique universitaire, et il s’annonce lui-même, dans les commentaires d’une “non-réponse” d’Olivier Favier à ses articles [2], comme “professeur agrégé”. Il demeure qu’il semble spécialisé en histoire moderne comme le prouvent son sujet de thèse, “Les marchands de Rouen, 1700-1815” [3], et sa contribution lors d’un colloque [4] consacré à Gérard Gayot. Hormis cela, les quelques recherches effectuées sur son compte ne permettent pas de penser que Guillaume Foutrier possède une affiliation partisane.

 

Les “anti-Deutsch” sont-ils tous “de gauche” ? :

 

Pour ce qui est du fond de l’affaire, son propos est volontairement incisif et provocateur pour interpeller les différents acteurs qu’il épingle. Ce n’est pas nécessairement un mal. Toutefois, dans sa furie dénonciatrice, il empile certains postulats de départs.

L’un d’entre eux est de penser que la critique des écrits de Lorant Deutsch et consorts, ainsi que celle d’une vision réduite de l’Histoire engoncée dans le cadre de la Nation provient forcément de “la gauche”, avec tout ce que cette expression a de réductrice sur la multiplicité des subdivisions actuelles. Je ne nie pas l’évidence, l’idée que la critique essentiellement “de gauche” du prisme historique nationalo-centré est en (très) grande partie vrai. Toutefois, ce n’est pas une loi générale. Heureusement. Sinon cela serait rejouer une vieille partition, celle des “Anciens” et des “Modernes”, “la droite” étant obligatoirement conservatrice et “la gauche” consubstantiellement progressiste.

De fait, personnellement, je ne me considère pas politiquement comme réellement “de gauche”. Ma seule affiliation partisane a été, jusqu’à présent, un encartement au Mouvement Démocrate, parti plutôt de tendance “centriste” en 2007, dans l’euphorie de la naissance du parti et la fougue de ma 18ème année. Cet engagement, qui ne s’est jamais réellement manifesté par un militantisme actif, a pris fin l’année suivante. Depuis, plus rien. Je suis donc très loin d’une affiliation avec le Front National, parti pour lequel je “roulerais” selon certains. Et pourtant, mes activités de blogueur m’ont conduit à adopter un positionnement critique vis-à-vis de Lorant Deutsch et consorts. De même, un de mes meilleurs amis dans le milieu historique, se définissant lui-même comme plutôt de centre-droit voire même “de droite”, a aussi épousé la critique, tant sur la forme que sur le fond, de la prose deutschienne.

Même si ces deux petits exemples peuvent paraître anecdotiques, il me semble qu’ils font émerger une réalité : la critique des Deutsch et consorts n’est PAS que “de gauche”. N’en déplaise à Guillaume Foutrier, il est possible de ferrailler contre le comédien-auteur pour des raisons strictement historiennes, le respect des faits et une certaine idée de ce qu’est le travail historique. Non pas pour lancer une polémique politico-scientifique supplémentaire. C’était, et c’est toujours, le sens de mon “engagement” dans ce combat. C’est ma façon de faire en sorte que l’étude de l’histoire ait une utilité pour le temps présent. Même si je suis d’accord, avec beaucoup d’historiens [5], que l’histoire “ne sert à rien”, rappeler la complexité de certains faits ou mettre en évidence les biais de quelques discours historiques n’est pas asservir Clio, mais mieux la servir en expliquant que cette discipline ne se manie pas avec dilettantisme et désinvolture.

Par conséquent, affirmer que la contradiction vis-à-vis des “historiens de garde” provient uniquement de personnes “de gauche”, est une idiotie profonde qui va contre les réalités. C’est faire un schéma trop caricatural de sensibilités bien plus diverses que la vulgate voudrait le faire penser. Enfin, si je voulais être un peu sarcastique, il serait possible d’argumenter autour de l’idée que l’association entre critique des “historiens de garde” et appartenance, réelle ou supposée, à “la gauche” est une des marottes préférées de la presse de droite et d’extrême-droite pour discréditer les contradicteurs. Je ne dis ni n’insinue pas que Guillaume Foutrier est plutôt “de droite”, il s’agit uniquement d’un constat sur la ressemblance de l’argumentaire déployé sur ce point précis.

 

Du CVUH. Vertus et faiblesses du Comité :

 

En outre, Guillaume Foutrier reproche au CVUH de ne pas réellement prendre parti politiquement. Outre le fait que ce soit le moins qu’il puisse faire, c’est oublier le positionnement du CVUH sur la question des lois mémorielles. Défendre la loi Gayssot et vouer aux gémonies, avec raison, les textes sur le “rôle positif de la colonisation” ou sur le “génocide vendéen”, c’est déjà prendre un positionnement politique. En ce sens le positionnement de Liberté pour l’Histoire, qui se bat contre toute forme de loi mémorielle au nom du principe de la liberté de la recherche [6], est infiniment plus cohérent, même si plus risqué du fait de l’éventualité plus grande de récupérations politiques.

Par ailleurs, même si je ne suis pas adhérent du CVUH, j’ai toujours compris le but du collectif comme une veille sur les discours tendancieux ou manipulateurs, pas nécessairement, comme l’insinue un peu Guillaume Foutrier, comme créateur d’une nouvelle doxa. Le but affiché est plutôt de dire “Attention ce texte/livre apparemment inoffensif est problématique pour X et/ou Y raison” ou “Attention cette personnalité publique utilise une vision orientée des faits historiques pour mieux servir ses desseins actuels” que d’affirmer la seule “vraie” et “bonne” vérité.

De même, le but du CVUH n’est pas uniquement de lutter contre les tendances extrêmes-droitières de la vie politique française et mondiale. Si ces dernières mouvances sont en ce moment très actives dans le domaine de l’histoire, ce qui justifie l’action du CVUH ainsi que la mienne, ce ne sont pas les seuls acteurs politiques critiqués par le Comité. J’ai le souvenir d’un article mettant en lumière les efforts de Barack Obama [7] pour s’inscrire lui-même, de manière plutôt artificielle, dans l’histoire des liens très forts entre l’Irlande et les Etats-Unis et ainsi s’affirmer dans la continuité vis-à-vis de ses prédécesseurs, qui possédaient tous un lien charnel ou familial avec le pays irlandais. De même, avec un papier autour des débats historiques teintés de nationalisme en Russie [8]. En outre, j’ai cru comprendre que le CVUH s’adossait au “savoir universitaire” actuel pour mieux mettre en évidence les usages déviants. Le CVUH n’est donc pas le lieu de construction d’un savoir, mais un lieu de “vigilance” nécessaire. Une certaine idée de l’inscription de l’historien dans son temps, le fameux “rôle social de l’historien”, que je partage en grande partie. Néanmoins, être d’accord sur l’essentiel ne revient pas à abandonner un positionnement critique, comme les prochaines lignes vont le montrer.

Pour ce qui est de la question scolaire, n’étant pas professeur dans le secondaire et n’ayant pas envie de rejoindre la cohorte des “60 millions d’experts en éducation” qui parlent sans réellement connaître, mes remarques seront très limitées. Personnellement, je salue l’effort récent d’ouverture sur le monde à travers l’inclusion du royaume de Monomotapa et de l’Inde des Gupta, ainsi que de ne plus voir l’histoire française dans son seul prisme hexagonal. De même, comme Servane Marzin [9], je considère, au moins sur le plan théorique, que l’adjonction de pointes d’historiographie pourrait être intéressant. Néanmoins, je ne suis pas réellement certain qu’expurger toute référence chronologique ou toute “grande figure”, même si je doute sur la réelle volonté du CVUH ou d’Aggiornamento d’opérer une “vidange” aussi profonde, soit une aussi bonne affaire que ce que l’on veut bien croire. Il ne faudrait pas contrebalancer les excès de l’un par les excès de l’autre. La Raison est toujours à la croisée de chemins radicaux, mais qui ont pour eux de faire bouger les lignes.

Enfin, Guillaume Foutrier met en cause la capacité du CVUH à se positionner réellement sur la question de vulgarisation, notamment autour des moyens qu’il faudrait mettre en œuvre pour atteindre ce but. A ce propos, je me dois de marquer mon assez large approbation. Approbation qui n’est pas totalement née de la lecture des écrits de Guillaume Foutrier, mais d’une constatation personnelle. En effet, il y a plusieurs mois, suite à l’annonce d’une journée d’études du CVUH sur le thème de la vulgarisation, le titre des différentes contributions m’avaient laissé songeur. En effet, si les orateurs traitaient de sujets intéressants, il n’en demeure pas moins que cela cadrait mal avec le réel débat qu’il est nécessaire d’avoir sur la vulgarisation. Par exemple, l’intervention, agréable mais uniquement théorique, de Catherine Coquery-Vidrovitch [10] en est un cas éloquent. Mais, il est nécessaire de nuancer le propos, notamment à travers la présentation par Christophe Naudin d’un exemple de vulgarisation [11] sur Internet, Histoire pour tous. De même, pour la contribution d’Alain et Désirée Frappier.

De fait, si, je crois, tout le monde est à peu près d’accord sur le but de diffusion des savoirs de la vulgarisation en histoire, l’heure est désormais venue, je le répète, de réfléchir sérieusement aux moyens qui pourraient sembler nécessaires de mettre en œuvre. A partir de ce constat, j’ai cherché à m’interroger sur cette question dans un article précédent. Cela serait, bien entendu, à discuter, remettre en cause et débattre de manière collective. Peut-être même de façon transdisciplinaire parce que la “vulgarisation” touche toutes les disciplines scientifiques, notamment les “sciences dures”, comme l’explique Cédric Villani [12].

La “lutte” contre les Deutsch, Ferrand, Bern et autres personnages plus rances, ne pourra être plus efficace qu’avec cela. S’inspirer de leurs méthodes formelles et s’adapter aux évolutions d’un public nouveau possédant des attentes différentes pourraient être des pistes de réflexion, la quadrature d’un tel cercle étant de ne pas “perdre son âme” dans l’affaire et de ne pas devenir des Deutsch avec des diplômes et un discours savant.

 

Conclusion :

 

Les légères outrances verbales de Guillaume Foutrier auront eu le mérite de faire parler, comme le prouve la longueur et le nombre des commentaires sur les différents articles du “dossier”, ainsi que m’amener à clarifier certaines situations. De fait, si j’apprécie généralement le travail des membres du CVUH – avec qui j’ai eu l’honneur de travailler – et de l’Aggiornamento, j’en viens à penser que sur certains sujets, mes convictions sont en contradiction avec les leurs. La guerre picrocholine de Guillaume Foutrier aura, donc, au moins eu cet intérêt : mettre mes idées au clair sur ces questions et tracer mon propre chemin en dehors de ces associations.


[1] Foutrier G., “A propos de la gauche, de l’histoire et du “roman national” (1ère partie)” et “A propos de la gauche, de l’histoire et du “roman national” (2ème partie)”, Blog personnel de Guillaume Foutrier (10 février 2014) (Dernières consultations le 8 avril 2014)

[2] Favier O., “Non-réponse à Guillaume Foutrier: pour en finir avec les fausses querelles”, Blog d’Olivier Favier (11 février 2014) (Dernière consultation le 8 avril 2014)

[3] “Les marchands de Rouen, 1700-1815”, thèse sous la direction de Philippe Minard, débutée en 2008.

[4] Foutrier G., La double voix du Commerce à Rouen : la Société Libre de Commerce (1796-1830)”. Colloque dont sera tiré un livre : Maitte C., Minard P. et Oliveira de M. (dir.), La gloire de l’industrie XVIIe-XIXe siècle : Faire de l’histoire avec Gérard Gayot, Rennes, 2012

[5] Ruiz E., “Quelques questions à Sophie Dulucq”, Devenir historien(ne) (26 mars 2014) (Dernière consultation le 8 avril 2014)

[6] “Les historiens en colère lancent “l’appel de Blois” “, Télérama (13 octobre 2008) (Dernière consultation le 8 avril 2014)

[7] Colantonio L., “Barack Obama et les usages de l’histoire… irlandaise”, Blog du CVUH (21 juillet 2011) (Dernière consultation le 8 avril 2014)

[8] Amacher K., “La mémoire historique en Russie, 20 ans après la fin de l’URSS”, Blog du CVUH (22 janvier 2012) (Dernière consultation le 8 avril 2014)

[9] Marzin S., “Pour une historiographie visible dans l’histoire scolaire”, Aggiornamento hist-géo (27 janvier 2014) (Dernière consultation le 8 avril 2014)

[10] “Journée d’étude : Vulgariser les savoirs historiques, quels enjeux ? (1)”, Blog du CVUH (25 juin 2013) (Dernière consultation le 8 avril 2014)

[11] “Journée d’étude : Vulgariser les savoirs historiques, quels enjeux ? (2)”, Blog du CVUH (12 juillet 2013) (Dernière consultation le 8 avril 2014)

[12] “Dans le métier de mathématicien subsiste une grande part d’aventure”, Le Monde (21 mars 2013) (Dernière consultation le 8 avril 2014)

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