[Popularisation] Une brève interrogation sur le prix du livre d’histoire

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Une pile de vieux livres. © jarmoluk / Pixabay

En cette période d’examens finaux dans les collèges et lycée de France, le sujet qui m’intéresse aujourd’hui pourrait être relier à celui de l’enseignement. Je veux parler, une nouvelle fois, de la thématique de la popularisation de l’histoire. Toutefois, le but de ce billet n’est pas de se pencher sur les méthodes didactiques ou pédagogiques pour mener à bien cette tâche.

De fait, je vais me tourner vers un des auxiliaires principaux de la popularisation, le livre d’histoire. En effet, si dans la communauté scientifique la primauté va aux articles de revues, le livre est la figure de prou du navire Histoire pour le quidam. Il ne sera pas ici question d’une critique du contenu des ouvrages, mais de leurs prix. J’ai déjà, ça et là, pesté contre le prix – à mon avis excessif – des volumes de la nouvelle collection de “vulgarisation” des Presses Universitaires de France, mais dans les prochaines lignes je voudrais m’intéresser aux livres proprement scientifiques. Si ces publications sont prioritairement destinées à un public de chercheurs et aux bibliothèques, cela ne saurait remettre en cause que leur diffusion la plus large possible soit nécessaire au nom de la vertu démocratique de la libre circulation du savoir. C’est, je crois, en partie à cause de ce déficit de médiatisation de la littérature scientifique – mais pas uniquement à cause du prix – qu’un phénomène comme Métronome a pu prospérer.

Autant prévenir tout de suite, ce qui va suivre ne sont que mes impressions personnelles et nécessiterait l’adjonction d’une enquête statistique plus poussée, collection par collection, discipline par discipline et maison d’édition par maison d’édition. Faute de temps et de matériel d’étude à disposition, cela m’a été impossible. Par ailleurs, je ne suis pas un fin expert des choses éditoriales et du processus technique et intellectuel qui amène à la production d’un livre. Je ne possède donc que le petit point de vue d’un lecteur et consommateur de livres qui s’interroge sur sa consommation. Il est fort probable que mon point de vue serait nécessairement à nuancer.

 

Peer review et programmes de l’agrégation, quelques exemples du prix de livres scientifiques :

 

De fait, depuis l’époque de mon Master, je me suis inscris à la newsletter de la revue Bryn Mawr Classical Review et depuis lors, je reçois chaque jour dans ma boîte mail les différents comptes-rendus d’ouvrages ainsi que, une fois par mois, la liste des différents livres qui pourraient faire l’objet d’une lecture critique. Lors de la dernière livraison mensuelle, le 1er juillet [1], un rapide survol de la liste me fait rencontrer la dernière publication [2] d’une enseignante de l’université de Strasbourg, Sandra Boehringer, dont j’ai déjà apprécié le travail. Même si les cordons de ma bourse sont actuellement plutôt serrés, je regarde le prix de l’ouvrage, par curiosité. Le couperet tombe : 27€ pour 225 pages. Si le prix est trop élevé pour moi actuellement, il ne me surprend qu’assez peu dans un premier temps puisque je suis relativement habitué au fait que les livres soient onéreux. Toutefois, l’agacement me prend un peu lorsque, en plein redémarrage de préparation de l’agrégation d’histoire, je commence à lire deux ouvrages [3], tous deux assez volumineux. Le premier fait 534 pages pour 24€ alors que le second s’étale sur 453 pages et se monnaye 25€. Sans faire de calculs on constatera que la disproportion dans le rapport prix par page est assez important.

Je ne choisis pas ces ouvrages pour le plaisir d’adresser les bons ou les mauvais points, mais plutôt par un certain hasard, celui de mon programme de lecture pour l’agrégation et des livres pouvant faire objet d’un compte-rendu dans la Bryn Mawr Classical Review. Hasard certes, mais aussi une impression que ce sont des illustrations relativement parlantes, mais non caricaturales, du problème du prix en ce qui concerne le livre scientifique d’histoire. Certes, l’ouvrage de Sandra Boehringer est co-écrit avec Violaine Sébillotte Cuchet et qu’il fait intervenir plusieurs autres plumes, ce qui induit un prix plus élevé du fait de la rémunération de ces auteurs. Mais comment expliquer qu’un ouvrage moins volumineux puisse coûter plus cher qu’un autre au format plus réduit ? Certes, il serait possible d’invoquer l’éventuelle présence de photographies et tout ce qui puisse témoigner d’une édition plus esthétisante et soignée ainsi que des personnels d’édition plus nombreux. Néanmoins, cela explique-t-il toutes les différences ? Cela peut, et doit, être souvent le cas, mais faute de données plus complètes et d’une étude plus approfondie, je ne saurais être totalement affirmatif et tranché sur le sujet.

 

Est-il possible de diminuer les frais de production d’un livre ? :

 

La question du prix amène également à s’interroger sur les postes de dépense qui rentrent en ligne de compte lors de la confection d’un ouvrage. Il en est un qui semble généralement représenter environ 10% [4] du prix final, l’auteur. Dans le cas du livre historique celui-ci est souvent un universitaire ou les membres de centres de recherche. Or, les universités et les organismes de recherche sont, dans des proportions plus ou moins grandes, largement subventionnés par l’Etat français [5], les collectivités territoriales ou l’Union européenne, tous ces organismes étant alimentés, plus ou moins directement, par les impôts de chacun. Il serait possible de raisonner de la même façon pour les ouvrages de recherche écrits par des personnes actuellement en poste au sein de l’Education Nationale. Ce système est logique et rationnel ? 

En effet, c’est comme si le lecteur rémunérait deux fois le travail du chercheur, la première comme simple citoyen et la seconde comme lecteur, même s’il faudrait mettre un bémol pour les professeurs du secondaire, la recherche n’étant pas leur vocation d’origine. Alors que le procédé tend à choquer le monde des bibliothèques dans le domaine des revues scientifiques [6], comment ce système est-il raisonnablement soutenable pour les livres ? A mon sens aucun argument ne permet de justifier cela. Ou alors il serait possible d’émettre l’hypothèse que cette politique des prix participe d’une certaine volonté d’un “entre soi” où la recherche demeure un monde d’initiés. Mais je ne saurais aller jusque là, notamment parce que cela participerait d’un certain complotisme démagogique, à grands renforts de dialectiques “élites contre peuple”.

A noter que je n’incrimine pas forcément les universitaires et chercheurs qui, souvent, désirent uniquement se faire publier quel qu’en soit le prix afin de demeurer visibles auprès de la communauté de leurs pairs.

 

Des alternatives pensables ? :

 

Viens désormais l’heure de proposer des alternatives. Je le répète, comme je l’expliquais précédemment, mon avis ne peut avoir valeur d’autorité puisque s’il est construit, il ne repose malgré tout pas sur une enquête approfondie, mais sur des sentiments généraux. A mon sens plusieurs solutions s’offrent à nous :

1/ Faire baisser le prix des livres en supprimant les droits d’auteur pour des auteurs provenant du secteur public, mais, outre l’inégalité que cela créerait entre les créateurs, des problèmes juridiques se poseraient.

2/ Obliger ces mêmes auteurs relevant du service public à publier une version électronique sous licence libre, par la suite choix à chacun de décider d’acheter ou non la version papier. Des solutions dans ce sens existent déjà dans une certaine mesure, ce sont les archives ouvertes, telles que HAL-SHS.

3/ Conserver le système actuel, mais développer les “Copy Party”. Pour une explication précise de ce qu’est une copy party et en quoi cela est légale, je renvoie à l’argumentation [7] de Lionel Maurel, alias Calimaq, bibliothécaire et juriste de formation.

In fine, chacun se fera son opinion sur ce sujet. Pour conclure, je voudrais simplement dire que, même si le texte ci-dessus pourrait amener à cette conclusion, je ne suis pas nécessairement un partisan du “tout gratuit”. En effet, je suis conscient que cela ne permet pas aux maisons d’édition de continuer à fonctionner et donc proposer, souvent, du contenu de qualité. Mon discours n’est donc pas celui d’un Che Guevara ou d’un Mao Zedong de l’univers éditiorial, mais plutôt celui d’un acteur qui, à sa petite échelle, s’interroge sur les moyens de populariser l’histoire, et plus généralement le savoir, à travers une réflexion sur le prix. Ni plus ni moins.


[1] “Bryn Mawr Classical Review 2013.07.01”Site internet de la Bryn Mawr Classical Review (1er juillet 2013) (Dernière consultation le 4 juillet 2013)

[2] Boehringer S. et Sébillotte Cuchet V., Des femmes en action : L’individu et la fonction en Grèce antique”Métis (hors-série) (15 mai 2013)

[3] Capdetrey L., Le pouvoir séleucide : Territoire, administration, finances d’un royaume hellénistique (312-129 avant J-C)Paris, 2007 et Müller Ch., D’Olbia à Tanaïs. Territoires et réseaux d’échanges dans la mer Noire septentrionale aux époques classique et hellénistiqueParis, 2010

[4] “Le contrat d’édition. Connaître ses droits, contrôler ses comptes”Syndicat national des auteurs et compositeurs, Paris, 2007, p. 26-27. (Dernière consultation le 4 juillet 2013)

[5] Pour une explication simple, je renvoie à l’article Wikipedia sur le sujet, notamment l’exemple des moyens alloués à l’université de Saint-Etienne pour l’année 2009. (Dernière consultation le 4 juillet 2013)

[6] A ce sujet on lira utilement Cabut S. et Larousserie D., “A qui appartient le savoir ?”Le Monde (28 février 2013) et Hoyt J., “By cross-pollinating career skills with the ideologies of “hacking,” academics can seed creative avenues of research“, LSE Impact blog (26 juin 2013) (Dernières consultations le 4 juillet 2013)

[7] “Ce que copier veut dire (Vidéos de la conférence [Lire+Ecrire]numérique)”Scinfolex (8 mai 2013) (Dernière consultation le 4 juillet 2013)

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