[France] La mémoire historique sélective ou le complexe de l’Histoire écrite par les vainqueurs

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Plaque commémorative de la rafle du Vel d'Hiv (16 et 17 juillet 1942), plaque apposée au n° 8 du boulevard de Grenelle à Paris. © Wikimedia Commons

Plaque commémorative de la rafle du Vel d’Hiv (16 et 17 juillet 1942), plaque apposée au n° 8 du boulevard de Grenelle à Paris. © Wikimedia Commons

Dans son ouvrage Les frères ennemisRobert Brasillach affirmait que “L’Histoire est écrite par les vainqueurs”. Ailleurs sur ce blog, je m’étais déjà montré sensible aux problèmes que peut poser ce principe s’il est utilisé comme postulat historique. En effet, la majorité des sources proviennent de ce que le vainqueur a bien voulu laisser derrière lui, c’est-à-dire une vision plutôt à son avantage ou ne l’égratignant qu’assez superficiellement.

Si je parle de cela aujourd’hui c’est pour donner mon point de vue sur les réactions que l’on a pu entendre suite au discours [1] de François Hollande lors de la cérémonie de commémoration du 70ème anniversaire de la rafle du Vel d’Hiv, les 16 et 17 juillet 1942. Je reproduis ici le passage qui a introduit la polémique :

La vérité, c’est que la police française, sur la base des listes qu’elle avait elle-même établies, s’est chargée d’arrêter les milliers d’innocents pris au piège le 16 juillet 1942. C’est que la gendarmerie française les a escortés jusqu’aux camps d’internement. La vérité, c’est que pas un soldat allemand, pas un seul, ne fut mobilisé pour l’ensemble de l’opération. La vérité, c’est que ce crime fut commis en France, par la France.

Les réactions publiques les plus hostiles à cette citation sont les œuvres d’Henri Guaino, député de la troisième circonscription des Yvelines depuis le 17 juin dernier, de Jean-Pierre Chevènement, sénateur du Territoire de Belfort et président d’honneur du Mouvement Républicain et Citoyen, et Paul-Marie Couteaux, président de Souveraineté, indépendances et libertés et proche du Front National.

 

Dénonciation d’une méconnaissance de l’histoire de France et d’une volonté de “repentance” :

 

Le premier, dans une interview [2] à Christophe Jakubyszyn sur BFMTV-RMC le 23 juillet 2012, affirme qu’il est

“scandalisé par ce qu’a fait François Hollande car ma France était à Londres depuis le 18 juin. Il n’a pas parlé au nom de la France que j’aime. Ce qui a été commis au Vel’ d’Hiv est une horreur, une abomination. Mais la France n’a rien à voir avec cela.”.

Le deuxième, sur son blog [3], argumente un peu plus puisqu’il explique que

“Le président Hollande, dans son discours du 22 juillet, a malheureusement omis de dire que les crimes commis par les policiers et les gendarmes français, lors de la rafle du Vel d’Hiv, l’ont été sur l’ordre de l’Etat français de Vichy collaborant avec l’Allemagne nazie”. […] C’est occulter les accords passés avec la gestapo par René Bousquet, alors secrétaire général de la police, agissant pour le gouvernement de Vichy. C’est faire comme si Pétain était la France et comme si le véritable coup d’Etat opéré le 10 juillet 1940 par un gouvernement de capitulation n’avait pas existé”.

Un peu plus loin il ajoute que :

“[…] deux présidents de la République, Charles de Gaulle et François Mitterrand, avaient tenu sur la ligne selon laquelle l’Etat français de Vichy n’était ni la République ni la France”.

Enfin, le dernier exprime son opinion par l’intermédiaire d’un communiqué [4] sur le site de son mouvement. Je reproduis ici les passages qui me paraissent les plus intéressants :

“si ce crime fut commis sur le territoire national, comme tant d’autres le furent sous l’Occupation, et si la police parisienne était à la botte de l’occupant, la responsabilité de ce crime n’est nullement imputable à la France. Aucune des autorités que reconnaissaient alors les Français, celle de Vichy pas plus que celle de Londres, ne gouvernait la zone occupée. Faut-il rappeler que […] le général Oberg, commandant la place de Paris, avait ordonné à la police parisienne, dont les agents étaient arrêtés ou instantanément fusillés s’ils n’obéissaient pas, la livraison de 25 000 juifs étrangers réfugiés en France, et que des policiers français ont, au péril de leur vie, supprimé des fichiers ou prévenu dans la nuit des milliers de familles juives, en sorte que la moitié de ce qu’exigeait l’occupant fut arrêtée ?

[…] M. Hollande ignore l’Histoire, à la différence de Charles de Gaulle et François Mitterrand qui la connaissaient assez pour avoir toujours refusé de commémorer des faits qui ne sont pas davantage de la responsabilité de la France défaite que ne le furent les atrocités commises par l’occupant sur le sol national. A force de mensonges et de repentances controuvés, une part croissante de notre peuple s’accuse de crimes qui ne lui sont nullement imputables, érodant sa mémoire, par là sa fierté, par là sa volonté.”

Reprenons chaque témoignage les uns à la suite des autres pour démontrer ce qui relève d’une interprétation partielle de l’Histoire et du rôle de la police française, et plus généralement de la France, dans les exactions contre les populations discriminées, juifs et autres, durant le deuxième conflit mondial.

 

Occulter des faits pour ne pas incriminer une certaine idée de la France :

 

Tout d’abord Henri Guaino. Si la première partie de sa citation ne met en évidence que sa préférence, tout à fait légitime, pour les valeurs défendues par la France de De Gaulle plutôt que celles que portent Pétain et l’Etat français, la seconde moitié porte en elle une ambiguïté extrêmement révélatrice. En effet, il affirme que “la France” est étrangère dans le poids de la responsabilité à propos de la rafle du Vel’ d’Hiv. Mais de quelle France parle t-il ? Celle qu’il évoque précédemment, la sienne ? Cela semble cohérent, mais rien ne permet de le confirmer, l’ambivalence de la forme grammaticale empêchant de trancher. En conséquence, il faut envisager que son discours porte sur l’ensemble de la France, donc à l’époque toutes les voix qui se réclament de la légitimité de la France, Pétain à Vichy et De Gaulle à Londres. Or, l’histoire du déroulement de la rafle nous apprend que ce sont des policiers français qui ont opérés et non des Allemands. On peut donc bien voir qu’Henri Guaino cherche à amalgamer sa vision de la France et la vérité historique. En bon gaulliste il pense que la seule France dont il faut se souvenir est celle de Londres puisqu’elle met en lumière les “bonnes valeurs”.

Toutefois, parce qu’il est en butte à une vision bienveillante de la France, l’Etat vichyste doit-il se voir supprimer toute légitimité dans l’exercice du pouvoir ? Cela serait totalement méconnaître, ou rejeter comme usurpation, les moyens qui ont amenés le Maréchal à être appelé aux affaires. Cela est dû au gouvernement de Paul Reynaud, nommé suite à la démission du cinquième cabinet d’Edouard Daladier en mars 1940. Ces gouvernements ont été appelés à se former sur la base de la représentation des forces politiques suite aux élections législatives de 1936, qui avait vu la victoire du Front Populaire. La démocratie est donc respectée. Qui plus est, les pleins pouvoirs lui ont été votés à une écrasante majorité par le Parlement, dont les organes sont dans leur grande majorité élus grâce à un scrutin démocratique, direct ou indirect. Par conséquent, on peut affirmer que Pétain est arrivé au pouvoir par le simple jeu des procédures démocratiques de la IIIème République, ni plus ni moins. J’irais même plus loin. Si on prend comme seul prisme la légitimité démocratique du pouvoir, les rôles sont inversés et c’est De Gaulle qui devient illégitime, son pouvoir étant uniquement reconnu par les puissances alliées et non issu d’un vote des représentants de la Nation.

Tout cela pour dire, et pour revenir aux propos d’Henri Guaino, qu’à l’époque la France institutionnelle est incarnée par l’Etat français dirigé par Pétain et donc que la France est responsable de la rafle du Vel d’Hiv puisque les policiers agissaient en son nom.

 

La stupidité d’un président actuel face à la sagesse de ses prédécesseurs :

 

Dans le raisonnement de Jean-Pierre Chevènement, on retrouve la même dialectique sur l’impossibilité que Pétain soit la France. De fait, si elle n’est pas l’incarnation la plus reluisante de la France, il demeure que, comme je l’ai expliqué précédemment, l’Etat Français n’est certes pas la République, mais elle en est l’émanation. Et comme la IIIème République était la France, au moins au sens légal du terme, il convient de dire que l’Etat Français était aussi la France.

Mais, le plus intéressant dans le raisonnement du sénateur du Territoire de Belfort est sa propension à appeler à son secours les grandes figures tutélaires de la Vème République, Charles de Gaulle et François Mitterrand. Toutefois, en quoi cela permet-il à son propos d’être plus convaincant ? Ce n’est pas parce que des hommes illustres expriment une opinion qu’elle est nécessairement la vérité. C’est le cache-sexe d’une pensée creuse. Par ailleurs, De Gaulle est désormais reconnu, grâce aux travaux d’Henry Rousso [5], pour avoir créer de toute pièce le mythe résistancialiste et avoir fait en sorte que l’Etat français n’apparaisse que comme un écart malheureux, une sorte de verrue, dans l’Histoire de France.

Par ailleurs, le passé de François Mitterrand durant la Deuxième Guerre Mondiale et ses liaisons avec René Bousquet et Paul Touvier sont l’objet de suspicions et d’interrogations. A l’heure actuelle celles-ci n’ont pas trouvé infirmation ou confirmation de façon certaine. Par conséquent, comme pour Henri Guaino, la pensée de Jean-Pierre Chevènement est, selon moi, caduque puisqu’elle se place dans l’axe d’une pensée, gaullienne, qui a montré ses limites pour l’explication du rôle de l’Etat français durant cette période.

 

Discussion technique et falsification plus grande :

 

Enfin, intéressons nous aux propos de Paul Marie Couteaux. Il s’agit assurément de la pensée la plus intéressante mais aussi la plus falsificatrice. Tout d’abord le cas de la portée des ordres du général Oberg. Selon P.M. Couteaux, ce militaire aurait directement donné des ordres à la police française. Toutefois, cela est absolument contraire au texte de l’armistice du 22 juin 1940 [6]. En effet, dans son article 3 la convention de cessation des combats explique que

Dans les régions occupées de la France, le Reich allemand exerce tous les droits de la puissance occupante. Le Gouvernement français s’engage à faciliter par tous les moyens les réglementations relatives à l’exercice de ces droits et à la mise en exécution avec le concours de l’Administration française. Le Gouvernement français invitera immédiatement toutes les autorités et tous les services administratifs français du territoire occupé à se conformer aux réglementations des autorités militaires allemandes et à collaborer avec ces dernières d’une manière correcte.

De fait, une administration française est mentionnée, ce qui implique qu’il existait un échelon entre les ordres de l’occupant allemand et l’action des fonctionnaires français. Une note administrative, nommée 519 NES IX-VI, vient clarifier la collaboration entre les polices française et allemande. Même si c’est de la pure histoire-fiction, on aurait pu imaginer une résistance passive, par n’importe quels moyens, de l’administration française si le refus des ordres de l’occupant était si important. Or ce n’est pas le cas. Qui plus est, dans le cas de la rafle du Vel d’Hiv, une lettre du général Oberg datée du 23 juillet 1942 loue les bonnes relations entre René Bousquet et lui, ainsi que l’impact que cela a eu et pourrait avoir pour des opérations conjointes entre forces françaises et allemandes. Celle-ci fait suite à un courrier du 18 juin 1942 dans lequel René Bousquet fait part de la “collaboration indispensable entre les polices”. On est donc loin du joug imposé par l’occupant à la police française, mais plus proche d’un appui de la seconde pour le premier. Par conséquent, du fait de cette aide, la France, comme Etat institutionnel, est co-responsable de la rafle du Vel d’Hiv.

 

Conclusion :

 

Pour conclure, aucun des arguments avancés par les protagonistes ne sont valides. Ils sont révélateurs d’une thématique de “l’anti-repentance” qui les conduit à ne voir que ce qui leur plaît dans l’histoire de France. Au final, ils pensent parler d’Histoire de façon docte, mais en fait ils ne font que ressasser le mythe selon lequel toute la France, tout du moins les “vrais” français, étaient derrière De Gaulle et que Pétain et son gouvernement n’étaient que des usurpateurs. De nombreux historiens, notamment Robert Paxton et d’autres, ainsi que des films ou documentaires, tel Le chagrin et la pitié [7] de Marcel Ophüls, ont démontré que de nombreux Français collaboraient de manière plus ou moins active avec l’occupant. Enfin, mettre en lumière et affirmer cela n’est pas ne pas aimer la France, mais lui livrer un discours de vérité pour qu’elle puisse apaiser sa conscience et regarder son passé droit dans les yeux sans honte ni tabou.


[1] “Discours du Président de la République à l’occasion du 70ème anniversaire de la rafle du Vel d’Hiv”Elysee.fr (22 juillet 2012) (Dernière consultation le 28 juillet 2012)

[2] “Guaino : « Je suis scandalisé par ce qu’a dit François Hollande » “BFMTV (23 juillet 2012) (Dernière consultation le 28 juillet 2012)

[3] “François Hollande et la rafle du Vel d’Hiv: Chevènement pas d’accord”chevenement.fr (23 juillet 2012) (Dernière consultation le 28 juillet 2012)

[4] “Communiqué de Paul-Marie Coûteaux”siel-souverainete.fr (23 juillet 2012). A noter que l’on peut retrouver le même communiqué de presse sur le site internet du Front national, en date du 22 juillet 2012. (Dernières consultations le 28 juillet 2012) (Le surlignage est de ma part)

[5] Par exemple Rousso H., Le syndrome de Vichy, de 1944 à nos joursParis, 1990 (2ème édition mise à jour)

[6] “Convention d’armistice. Texte de l’armistice signé à Rethondes le 22 juin 1940”Digithèque de matériaux juridiques et politiques (Université de Perpignan(Dernière consultation le 28 juillet 2012)

[7] Pour les plus curieux, le documentaire, en deux parties, est visible ici.

 

 

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